Ces directeurs d'école, interrogés par Le HuffPost, ne s'estiment "pas prêts au déconfinement”.
Le 11 mai, ils n'envisagent rien de plus
qu'organiser des “accueils
éducatifs solidaires” pour les élèves présents.
Je lis, j’aime, je vous soutiens
le conseil scientifique :
-François Delfraissy et une quinzaine
d'experts conseillent le gouvernement depuis le
début de la crise du coronavirus:
ils voulaient un retour à l'école en septembre.
POLITIQUE - ”Le mot, c’est “‘désabusée’. La situation m’angoisse... Est-ce que je vais y arriver? Aujourd’hui encore, je n’en sais rien!” Catherine Da Silva est directrice d’école élémentaire à Saint-Denis dans le 93. Pour plusieurs directeurs de cette ville interrogés par Le HuffPost, la réouverture des écoles publiques le 11 mai est tout simplement impossible pour les maternelles et très compliquée pour les primaires. “Notre bon sens ne nous suffit plus”, désespère cette directrice, également maman.
Pour préparer cette rentrée de déconfinement, les directeurs d’école publique ont reçu un premier “protocole sanitaire” complété dimanche 3 mai par un nouveau guide plus détaillé. Cinquante-quatre pages dans lesquelles l’Éducation nationale décrit des dispositifs de respect des gestes barrières “impossibles à respecter”, comme nous le confient unanimement tous les directeurs avec qui nous avons discuté.
Aujourd’hui, ils nous décrivent une réalité de terrain bien opposée aux ordres qu’ils reçoivent. “J’ai deux stress”, avoue au HuffPost Karim Bacha, directeur d’école élémentaire: “Choper le virus et devoir regarder les parents dans les yeux en disant ‘On gère’.”
“Il faut être honnête, on ne fera pas école comme avant”
Ces directeurs d’école aimeraient une chose: que la “vérité” soit dite. Pour ces représentants syndicaux SNUIPP-FSU, le ministre de l’Éducation national Jean-Michel Blanquer n’utilise pas du tout les bons termes. “Moi, je dis aux parents d’élèves qu’il n’y aura pas d’école le 11 mai pendant que notre ministre répète le contraire dans les médias. ‘Arrête! Arrête de dire ça!’, ai-je envie de lui crier quand je l’entends, ‘Arrête de mentir!‘”, s’épuise à répéter Catherine Da Silva.
“Après nous avoir parlé d’assurer la continuité pédagogique à distance”, déplore Karim Bacha, qui gère une école de 170 élèves, “on essaye maintenant de nous faire croire qu’il est possible de rouvrir les écoles en pleine urgence sanitaire.”
“Ouvrir des casernes sanitaires”, “faire de l’hygiène comme des psychopathes”, “il faut être honnête, on ne fera pas école comme avant”, explique Stéphanie Fouilhoux, directrice d’une école maternelle. Ce que ces directeurs arriveront à ouvrir tout au plus, ce sont des “accueils éducatifs solidaires”. Comme ceux qu’ils ont déjà ouverts dans leurs locaux pour les enfants de soignants depuis le début du confinement.
“On n’est pas prêts au déconfinement”, assure Karim Bacha, alors que derrière lui résonnent dans la cour les cris des enfants des professions prioritaires qu’il garde depuis le début de la crise sanitaire en France. Pendant cette expérience, ces directeurs de Saint-Denis l’ont vécu: il n’est pas possible de respecter tous les gestes de barrières et de se protéger soi-même avec des enfants de ces âges-là, allant de la maternelle au CM2. Et il est encore impossible de reprendre l’apprentissage.
Pas de continuité pédagogique cette fois-ci
“En maternelle, c’est partage, patouille et découverte”, décrit Stéphanie Fouilhoux, directrice de ces petites classes et représentante syndicale. “Il n’y aucun matériel individuel, ces notions d’individualité ne sont pas acquises... Ils vont faire quoi les enfants toute la journée s’ils ne peuvent pas plonger leur main dans le pot de feutres?”, s’interroge la jeune femme. Ces enseignants et directeurs que nous avons joints ont le sentiment que le cœur même de leur métier, à savoir le collectif, sera touché avec une réouverture qui suivrait les directives qu’ils reçoivent.
“Et en CP?”, se questionne Catherine Da Silva, directrice d’une école élémentaire. “Hyper pratique le masque en CP pour la lecture qui passe par l’imitation des mouvements des lèvres”, ironise-t-elle. “Déjà que l’apprentissage de cette notion, commencé en mars, a été complètement tué dans l’œuf”, nous explique-t-elle encore.
L’application stricte des gestes sanitaires qui bloque l’apprentissage normal et la rupture provoquée par le confinement empêchent ces directeurs de pouvoir envisager une réouverture de l’école, comme celle que certains parents imaginent. À savoir une reprise plus ou moins normalisée des programmes et des enseignements, tout en respectant la sécurité de chacun. Fantasme nourri par les dires du gouvernement, déplorent les directeurs.
“Maintenant j’ai des parents qui veulent remettre leurs enfants en classe parce qu’ils ont peur qu’ils ratent trop de choses”, regrette Catherine Da Silva. Avoir une communication claire sur ce qu’il va se passer dans les semaines à venir à l’intérieur des écoles -à savoir que “la classe ne peut pas reprendre” et donc adapter les programmes de l’année prochaine pour pallier les retards de niveau- voilà ce que demandent ces directeurs d’école publique.
Un risque sanitaire trop élevé
En plus de la difficulté de devoir occuper ses enfants -“et pour ça on se débrouillera comme on a toujours su faire”, relativise Karim Bacha-, il y a le stress du risque sanitaire. “Rendre l’enfant en bonne santé et sans virus... Je ne peux pas le garantir”, annonce avec transparence ce directeur. “Et dire aux parents: ‘Pour votre grand-mère qui dort chez vous, ne vous inquiétez pas’, ça ce n’est pas possible.”
Les enfants ont besoin de jouer, de toucher, de se dépenser. “En maternelle, un enfant qui tombe et pleure, je ne pourrai donc pas le prendre dans les bras? Et celui qui se fait pipi dessus en classe? Il va aller prendre sa douche tout seul?”, s’interroge Stéphanie Fouilhoux, désabusée face au protocole reçu.
Certains nous ont fait la comparaison avec les attentats. Pour Karim Bacha, directeur dont l’école était proche du stade de France au moment des attaques de 2015, la situation est pire encore. “Quand j’applique le protocole d’attentat, je le fais en sachant que s’il y a un attentat ça ne nous sauvera pas. Mais comme j’ai une chance sur mille que ça arrive, je dois tenter de l’appliquer. Là, je vais devoir appliquer un protocole déconnecté de la réalité infantile alors que le risque d’infecter quelqu’un et que ce dernier propage le virus est beaucoup plus grand.”
Quid également des risques pour les enfants hyperactifs, violents, qui sont des cas pas si exceptionnels? “J’en ai un qui fugue régulièrement. Est-ce que son auxiliaire scolaire pourra le gérer en se protégeant, elle, lui et les autres? Je n’en sais rien”, explique Catherine Da Silva. Les enfants handicapés, les enfants qui ont besoin de la cantine pour avoir un repas par jour etc. Tant de questions restent en suspend pour ces directeurs situés dans des zones éducatives où la pauvreté et les difficultés sociales sont des risques en plus face au virus. Une situation qui complique un déconfinement dirigé par la justice sociale comme a pu le prôner Jean-Michel Blanquer.
Tandis qu’Édouard Philippe évoque au Sénat, ce lundi 4 mai, une réouverture des écoles nécessaire pour les plus précaires, ces directeurs posent la question: “Est-ce qu’il est nécessaire pour ces élèves dans des situations difficiles de prendre des risques sanitaires en plus?” interroge Stéphanie Fouilhoux.
Directeurs mais pas responsables
“De toute façon ce n’est pas à nous de faire ce choix de réouverture ou non”, explique Stéphanie Fouilhoux qui relativise le stress ambiant. Les écoles publiques sont en effet soumises à l’autorité de l’inspecteur de circonscription de l’Éducation nationale, et du maire à qui appartiennent les locaux. À la différence des écoles privées où c’est le chef d’établissement qui prend une décision.
Techniquement, il n’y aura déjà pas d’école le 11 mai, parce qu’après un mois de confinement, c’est à cette date seulement que le directeur et ses enseignants pourront tous se réunir pour discuter de l’organisation. “Donc déjà, je dis aux parents que ce n’est pas la peine de se présenter avec leurs enfants le 11 mai dans la journée”, assume Catherine Da Silva. Ensuite, il faut que les maires et les inspecteurs choisissent, eux, la réouverture.
Et pour l’instant, si l’on en croit la tribune signée par 337 maires d’Île-de-France, dont le maire de Karim Bacha à L’Île-Saint-Denis, ce n’est pas le chemin emprunté. Pour l’instant, ces élus refusent de porter la responsabilité d’une réouverture ”à marche forcée”. À Saint-Denis, si on parle de réouverture d’un accueil-école -on l’aura compris, l’école en tant que telle ne rouvrira pas-, on évoque la date du 14 ou du 16 mai, nous raconte Stéphanie Fouilhoux, qui sort tout juste d’une réunion à ce sujet quand nous la contactons. À Paris, le directeur d’Académie a déjà adressé sa lettre aux chefs d’établissement: ce sera bien le 14 mai mais pas avant. Et très progressivement.
Des parents angoissés qui ne remettront pas leurs enfants
Quand bien même ces “accueils éducatifs” ouvriront plus largement encore avec le déconfinement faut-il que les parents acceptent d’y mettre leurs enfants. Et pour les parents de la communauté chinoise que Catherine Da Silva rencontre dans son école, ce n’est pas gagné. “Ces parents sont effarés par la gestion française quand ils voient qu’en Chine, certaines écoles sont toujours fermées”, raconte la directrice. Un tiers des parents refusent déjà de remettre leurs enfants dans son école élémentaire. “J’ai un parent d’élève qui est mort. Vous croyez vraiment que ces familles vont prendre d’aussi grands risques?”, continue-t-elle.
À l’autre tiers qui aimerait voir ses enfants se dépenser et débarrasser leur petit appartement, la directrice explique que de toute façon, leurs enfants ne pourront pas pour autant jouer avec leurs amis comme avant et qu’il n’y aura pas classe normalement.
Et au tiers restant, qui s’interroge, elle ne peut leur dire autre chose que: “Je n’ai aucune garantie qu’il n’y ait pas de risque, et je n’ai pas toutes les outils en main pour l’instant pour savoir si l’ouverture est possible ou pas.”
D’ici quelques jours, les habitants devraient recevoir une lettre de leur maire ou des inspecteurs qui donnera plus d’informations aux parents sur les décisions prises quant aux écoles publiques. Ouverture ou non, trois choses sont sûres pour ces directeurs: pas question qu’ils deviennent expert en hygiène, pas question qu’on leur demande cette fois encore d’assurer une continuité pédagogique et pas question non plus qu’ils soient tenus responsables des risques encourus.
Pendant ce temps-là dans les écoles privées et hors contrat où les directeurs d’école sont également chefs d’établissement avec pouvoir décisionnaire, des sondages circulent pour rouvrir ou non en fonction de la demande des parents.
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