En seulement trois jours, une pétition appelant à interdire les « thérapies » de conversion dans l'Union européenne, relayée sur les réseaux sociaux, a dépassé le cap du million de signatures. Assez pour contraindre la Commission européenne à se prononcer.
La démarche, initiée par un étudiant lyonnais, doit beaucoup à une forte mobilisation sur les réseaux sociaux ces derniers jours.
Lancée il y a douze mois, tout se sera joué en cinq jours. L’initiative citoyenne européenne (ICE) créée pour mettre un terme aux pratiques de « thérapies de conversion » vient d’atteindre le seuil du million de signatures nécessaire pour être discutée au Parlement européen.
Une ICE permet à tout citoyen de l’Union européenne (UE) de lancer un appel à la signature afin qu’un sujet soit discuté dans l’hémicycle strasbourgeois. Si un million de signatures sont réunies dans un délai de 12 mois, et qu’un seuil de participation minimum est dépassé dans au moins sept pays-membres (dans ce cas-ci, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Espagne, la Slovénie, la Finlande, les Pays-Bas et la Belgique) alors, quelques formalités mises à part, l’organisateur pourra présenter son initiative devant les eurodéputés, qui seront tenus de s’y intéresser.
Après ça, les issues sont diverses. Un acte législatif peut en ressortir, mais le Parlement européen peut aussi choisir de ne rien faire. Toujours est-il qu’une ICE menée à terme envoie un message fort.
Les Français, premiers signataires
L’initiative citoyenne européenne, « c’est un moyen de donner la parole aux citoyens européens, de pouvoir dire à la Commission « Nous voulons que vous fassiez quelque chose » », déclarait Mattéo Garguilo sur le site Citizens initiative. Cet étudiant lyonnais en sciences politiques est à l’origine de cette ICE. Il est le fondateur de l’association ACT, pour « Against Conversion Therapy » (contre les « thérapies de conversion », littéralement), et initie la démarche citoyenne début 2024, seulement un an après la naissance d’ACT.
Les signatures se sont longtemps fait attendre. Mais depuis le début de cette semaine, un engouement populaire soudain a favorisé l’initiative, qui a été largement partagée sur les réseaux sociaux, notamment par des personnalités publiques et politiques : des députés du Nouveau Front populaire aux chanteurs Stromae et Angèle, en passant par l’ancien premier ministre, Gabriel Attal.
Un bond de participation à quelques jours de la date limite, ce 17 mai, qui doit beaucoup à la mobilisation en France. Sur un million de signatures récoltées, l’hexagone est largement le plus gros contributeur (546 000, loin devant l’Espagne et ses 126 000 paraphes).
Depuis la création de l’initiative citoyenne européenne en 2012, 119 ICE ont été lancées. Mais elles sont régulièrement critiquées pour leurs conditions strictes d’application, qui impliquent de faire une campagne massive dans au moins sept pays de l’UE qui favoriserait les grosses machines de lobbying. Pour preuve des limites du dispositif, seules 12 d’entre elles ont obtenu une réponse ou sont à l’étude. Le succès de la démarche de Mattéo Garguilo pourrait créer un précédent.
Le texte appelle la Commission européenne à « proposer une interdiction légale contraignante des pratiques de conversion ciblant les citoyens LGBTQ + » dans l’Union européenne. Sans se prononcer sur des mesures concrètes, la commissaire européenne en charge de l’égalité, Hadja Lahbib, a apporté son soutien aux voix qui « s’élèvent contre ces pratiques qui sont honteuses et qui conduisent parfois même à des suicides ».
En septembre, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, l’avait mandatée pour établir une stratégie « autour de l’égalité des personnes LGBTQI » après 2025. Cette stratégie devrait notamment mettre l’accent sur « l’interdiction de la pratique des thérapies de conversion », avait-elle indiqué. En 2022, le Parlement français avait voté unanimement pour cibler pénalement les thérapies de conversion contre les personnes lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT).
Les thérapies de conversion, ces pratiques que les Nations unies considèrent comme « discriminatoires » et pouvant « être assimilées à des actes de torture », sont pour l’instant interdites dans seulement huit pays européens : Allemagne, Chypre, France, Belgique, Espagne, Grèce, Malte et Portugal. Et l’UE n’a actuellement pas légiféré pour les interdire dans les autres Etats membres, alors qu’elle doit « lutter contre toutes les pratiques inhumaines », veut croire le plaidoyer de l’initiative. Avec la réussite de cette pétition, la situation pourrait bien changer.
• Le début d’un chemin législatif dans les institutions européennes
Maintenant que l’initiative citoyenne européenne (ICE) a récolté le bon nombre de signatures, elle doit être validée administrativement. L’association ACT (Against Conversion Therapy), derrière la pétition, cherche d’ailleurs à dépasser 1,2 million de signatures, pour « compenser les potentiels doublons et erreurs ».
Ensuite, sont organisées : une rencontre entre les organisateurs et la Commission, une présentation au Parlement européen – avec potentiellement un débat en session plénière et l’adoption d’une résolution – et une obligation pour la Commission d’exposer son action pour donner suite à l’initiative. L’institution européenne peut alors estimer « qu’un acte législatif constitue une réponse appropriée », explique le site officiel de l’UE. En revanche, elle « n’est pas tenue [d’en] proposer » un, est-il encore écrit.
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