Ils étaient plus de 10 000 policiers, selon les syndicats de police, à défiler dans les rues ce mercredi pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Les explications de Frédéric Lagache, du syndicat Alliance.
Depuis le 1er juillet, la police peut tirer à balles réelles sur les manifestants en France
Plusieurs milliers de policiers ont manifesté dans le pays pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail et de la baisse des budgets. Reçu par le ministre de l'intérieur, Frédéric Lagache, le secrétaire général du syndicat Alliance, répond à nos questions.
Frédéric Lagache, vous venez d'être reçu par le ministère de l'Intérieur, quel retour avez-vous obtenu ?
Globalement, je pense qu'il y a eu une certaine prise de conscience de la part de Manuel Valls. Il a compris que la mobilisation du jour était importante. C'était particulièrement difficile pour nous tant l'administration a tenté de nous mettre des bâtons dans les roues. Étrangement, ils se sont montrés très sévères pour nous accorder nos prises de poste retardées alors qu'on y a recours au quotidien habituellement. Certains des collègues ont dû venir sur leurs jours de repos pour prendre part à la mobilisation. C'est déjà assez difficile pour nous de venir défiler comme ça. Mais le gouvernement semble avoir pris la mesure de nos revendications et semble prêt à discuter. Je pense que le ministre est désormais ouvert pour revenir à la normale lors de la mise en place lors du budget 2015. En attendant, il nous faudra rester vigilant pour 2014.
Quel regard portez-vous sur la mobilisation du jour ?
Le bilan est positif. Mes hommes, qui ont l'habitude de compter, ont dénombré 4800 policiers défilant dans les rues de Paris, et 5800 en province. Le gouvernement lui-même a reconnu toute l'envergure de la contestation et le ras-le-bol exprimé par les collègues. Il s'agissait de faire savoir notre mécontentement, alors que nos conditions de travail se dégradent toujours plus. Le message semble avoir été entendu.
À quel point vos conditions de travail se sont-elles dégradées ?
La contestation est réellement montée lorsque le gouvernement a décidé de revenir sur l'ISSP (indemnité de sujetion spéciale de police), notamment pour les agents de catégorie D, qui représente tout de même notre prise de risques. Il s'agit là d'une décision historique, aucun gouvernement n'était revenu sur cette prime. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Mais au-delà de ça, parlons de nos conditions de travail, parfois au bord de l'acceptable. Lorsque nos collègues de Boulogne s'habillent dans les vestiaires au milieu des fuites, que des collègues de Nancy travaillent juste au-dessus des égouts. Il y a bien pire: des collègues de l'est de la France, qui travaillent à la frontière, ont l'interdiction d'effectuer des patrouilles de plus de 30 kilomètres, pour l'essence. D'autres ont dû se rendre au Conseil général pour récupérer des ramettes de papier. Nous avons une mission, alors donnez-nous les moyens de l'effectuer convenablement.
Le mouvement du jour n'était pas unitaire. Les syndicats ne se sont pas tous retrouvés pour porter les revendications. Comment expliquez-vous cela ?
Je le regrette, vraiment. Nous nous sommes toujours positionnés dans ce dossier pour une union syndicale. Nous n'étions pas tous ensemble certainement du fait de considérations politiciennes. Pourtant, nos revendications dépassaient largement nos désaccords. Nos contestations portent sur des thèmes qui nous touchent tous. Notre message sera d'autant plus fort que nous le porterons ensemble. Nos divergences sont minimes à côté des enjeux. On ne peut pas occulter le besoin d'une résonnance, d'une prise de conscience collective.
Le 31 octobre dernier, Manuel Valls annonçait le déblocage de 111 millions d'euros pour la police et la gendarmerie, octroyant selon lui "les moyens nécessaires à leur fonctionnement jusqu'à la fin de l'année". Quel regard portez-vous à cette initiative ?
Il faut déjà replacer les choses dans leur contexte. Ces 111 millions n'ont pas été débloqués. En réalité, ils étaient déjà incorporés dans nos budgets annuels et avaient été gelés. Bien entendu, nous allons les prendre. Mais si on prend les propos du directeur général de la gendarmerie ou encore de Jean-Vincent Placé, il est clair que la rénovation de nos services nécessite des milliards. Le président du groupe EELV au Sénat dit que la seule rénovation de la gendarmerie coûterait 300 millions d'euros. Mais encore, la rénovation de notre parc de véhicules demanderait 185 millions d'euros. Dans ce contexte, 111 millions, c'est une goutte d'eau dans un océan. Je vous rappelle que 41% de nos locaux sont vétustes, voire insalubres.
Quelle suite sera donnée à ce mouvement désormais ?
Notre message doit trouver un écho auprès du gouvernement, nos revendications doivent être reconnues. François Hollande lui-même a plusieurs fois fait de la sécurité une priorité. Il a déjà utilisé le mot "urgence". Mais l'urgence, ce n'est pas ça. Les paroles doivent être suivies d'effets. La dégradation de nos conditions de travail ne date pas d'hier, mais elle s'accélère. Il y a un choix à faire. Le prix de la délinquance est estimé entre 115 et 120 milliards d'euros. Soit on investit pour les forces de l'ordre, avec plus de policiers, soit on ne le fait pas. Le gouvernement a donné 3 milliards à Marseille, il peut nous en donner une part, bien que cette ville en ait besoin. Nous devons encore être reçus par le ministre. En attendant, notre mobilisation continue.
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