La proximité du chef de file des musulmans turcs de France avec le régime d’Ankara inquiète, alors qu’il doit prendre la présidence de l’organisme représentatif en juillet.
Pour la première fois, le 1er juillet, un représentant de l’islam turc en France prendra la présidence du Conseil français du culte musulman (CFCM), l’interlocuteur de l’Etat pour la deuxième religion de France. Ahmet Ogras, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), succédera alors pour deux ans à Anouar Kbibech.
La nouveauté va au-delà du changement de personne, dans une fonction monopolisée depuis l’origine, en 2003, par les fédérations musulmanes ancrées dans les immigrations algérienne et marocaine. Et, compte tenu des liens entre l’islam turc et le pouvoir à Ankara, cette première soulève des interrogations, voire une certaine appréhension, au sein du CFCM comme du côté de l’Etat, à l’heure où le régime turc est en pleine dérive autoritaire.
Contre la loi sur le génocide arménien
Comme la plupart des membres du CFCM, ce chef d’entreprise de 46 ans, qui dirige une agence de voyage à Paris, n’est pas un religieux – c’est d’ailleurs l’une des critiques faites à cet organisme dont la mission est pourtant la gestion des affaires cultuelles. Mais Ahmet Ogras a ceci de particulier d’avoir un passé proprement politique. En 2006-2007, il a fondé la branche française d’une organisation proche du pouvoir du président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’UETD (Union of European Turkish Democrats), et il l’a dirigée jusqu’en 2012. « C’était la première fois qu’un président turc se souciait de sa diaspora en Europe », explique aujourd’hui Ahmet Ogras. L’UETD a notamment contribué, en France, à la mobilisation contre la loi pénalisant la négation du génocide arménien, en 2012. « C’était un devoir de vérité et de témoignage. Nous sommes français, nous avons autant de droits et de devoirs que les Français d’origine arménienne. Il y a deux lectures de l’histoire », fait-il valoir. Puis, en 2012, il a été aiguillé vers le CCMTF, dont il a pris la présidence, intégrant alors le CFCM.
Cette ascension...
“La Turquie adopte discrètement une version douce de la charia”
La Turquie n’applique pas officiellement la charia. Mais le pays adopte graduellement une version « douce » de la charia, affirme le think tank Gatestone Institute. Bien sûr, les tribunaux n’ordonnent pas de châtiments corporels tels que lapidations, amputations ou pendaisons.
Mais la loi turque s’inspire de plus en plus de la religion, ce qui n’est pas sans rappeler l’Empire ottoman, où les non-musulmans étaient considérés comme des inférieurs et se le faisaient constamment rappeler au moyen de restrictions et de signes qu’on leur imposait.
Les agents de maintien de l’ordre public ne peuvent pas épouser une « personne impure »
En janvier, le journal britannique The Independent a rapporté qu’un décret avait été émis par le gouvernement Erdogan qui stipulait que les agents de maintien de l’ordre public, tels que les agents de police, les agents de sécurité et les gardes-côtes pouvaient se voir suspendus de leurs fonctions pendant 24 mois s’ils épousaient une personne connue pour avoir été impliquée dans un adultère. Les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi ne peuvent « se marier intentionnellement avec une personne qui est connue pour être impure, ou rester dans un mariage, ou continuer à vivre avec une telle personne », indique le décret.
Le décret défend également les agents d’abuser de l’alcool, du jeu, et de « se rendre dans des lieux qui pourraient nuire à leur réputation », ou « dépenser de façon excessive », le tout en dehors des heures de travail.
Une femme qui boit mérite presque d’être tuée
L’année dernière, un Turc qui avait tenté d’assassiner son épouse et la mère de ses 4 enfants avec un tournevis, et l’avait gravement blessée, avait initialement écopé d’une peine de prison à perpétuité. Par la suite, les juges lui ont accordé une réduction de peine remarquable, commuant sa peine à 11 ans de prison. Le tribunal a en effet été avisé que la victime avait l’habitude de sortir avec ses amies divorcées et qu’elle buvait de l’alcool lors de ces soirées. En d’autres mots, le tribunal a jugé que le crime de son mari n’était pas si grave, puisque son épouse était coupables de mauvais comportements.
Ces deux exemples ont un point commun : il y est question d’adultère, d’impureté, d’alcool, de jeu et de dépenses excessives, c’est à dire de péchés mentionnés dans le livre saint de l’islam. Mais le problème n’est pas que légal, explique le Gatestone Institute : «Lorsque le délit est défini dans une langue scripturale religieuse aussi vague, le jugement devient inévitablement arbitraire ».
Comment définir une personne connue pour son adultère ? qu’est ce qu’une personne impure ? Comment peut-on savoir à l’avance que l’endroit où l’on se rend peut ruiner sa réputation ?
Sanctionner des délits ou punir des péchés ?
En raison de la nature laïque de l’Etat turc, la Constitution turque ne fait pas référence aux musulmans ou l’islam. Mais cet état de choses pourrait changer. Ismail Kahraman, le Président du Parlement de la Turquie, qui est aussi membre du parti AKP, a déclaré l’année dernière que la Turquie était un pays musulman et qu’elle devait donc se doter d’une constitution religieuse. Il a ajouté que qu’aucune disposition sur la laïcité ne pourrait être incluse dans la nouvelle constitution.
« Une distinction importante entre un État moderne et un état religieux est que le premier punit les délits nuisibles pour l’intérêt public, tandis que le second a tendance à punir le péché », observe le think tank.
Et de conclure :
« La Turquie, autrefois un état semi-moderne, glissant désormais rapidement vers l’ordre de la charia, mais sans que cela soit qualifié de charia ».
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