Le recul du taux d’activité, signifiant que des millions d’Américains se sont retirés du marché travail, commence à préoccuper la Fed et la Maison-Blanche. Difficile à analyser, le phénomène pourrait avoir des conséquences majeures pour l’économie américaine s’il se prolongeait durablement.

“Le rêve américain est terminé”
Dans les statistiques que va publier aujourd’hui le département du Travail américain pour le mois de février, les experts – et les membres du comité de politique monétaire de la Fed – ne vont pas nécessairement s’intéresser, en premier lieu, au taux de chômage. Celui-ci est tombé à 6,6 %, en janvier. Il a chuté rapidement au cours des derniers mois – il était de 7,3 % encore en octobre.
Mais ce reflux, plus marqué que les conjoncturistes ne s’y attendaient, se fait sans créations d’emplois massives. En janvier, l’économie américaine n’a créé que 113.000 jobs et, en décembre, encore moins : 75.000. Pas de quoi pavoiser, donc.
La nouvelle présidente de la Fed a tiré la leçon de cet apparent paradoxe. Lors de son audition devant les Représentants, début février, Janet Yellen l’a résumée en ces termes : « Nous ne devrions pas nous concentrer uniquement sur le taux de chômage » pour analyser les évolutions du marché du travail.
L’indicateur qui attire de plus en plus l’attention des économistes, c’est le taux d’activité (participation
rate). A savoir le nombre d’Américains titulaires ou à la recherche d’un emploi, rapporté à la population en âge de travailler. En janvier, il était de 63 %. Au plus bas depuis 1978. A savoir depuis les années Jimmy Carter.
Après la Seconde Guerre mondiale, le taux d’activité a presque constamment monté, d’année en année, passant de 58,3 % en 1947 à 67,1 % en 1997, un niveau où il est resté jusqu’au début des années 2000. Il a ensuite reflué vers les 66 %, avant de décrocher brutalement dans la grande récession. Pour atterrir, donc, autour de 63 %.
Mais où sont passés ces millions d’Américains qui n’apparaissent plus dans les statistiques ? Les déçus de la crise ont-ils repris des études en attendant des jours meilleurs ? Ont-ils pris leur retraite plus tôt que prévu ? Ont-ils décidé de s’occuper de leurs enfants ? Temporairement ? De manière permanente ? Des questions auxquelles il faut trouver des réponses pour anticiper l’évolution de l’économie américaine.
Une étude du bureau du Budget du Congrès, publiée en février, a permis de lever le voile – et incidemment nourri une polémique.
Selon le CBO, beaucoup des « disparus » ne reviendront pas. Le simple vieillissement de la population est responsable de la moitié de la chute du taux d’activité. Des cohortes entières de baby-boomeurs cessent de travailler. Et la tendance va s’accentuer au cours de la décennie qui vient.
Environ 0,5 % de la baisse est à imputer à des travailleurs qui ont définitivement jeté l’éponge. Ils tirent de leur chômage de longue durée la conclusion qu’ils ne parviendront plus à retrouver une place sur le marché du travail. Par exemple parce que leurs qualifications ne répondent plus aux attentes des employeurs.
En outre, et c’est là que l’étude a fait polémique, l’Obamacare, la loi de réforme de l’assurance-santé, le texte phare du premier mandat de Barack Obama, devrait contribuer à la poursuite de la tendance des dernières années. Les Américains, du fait de la loi, peuvent désormais réduire le nombre de leurs heures, ou carrément arrêter de travailler, sans avoir peur de perdre leur couverture santé. De quoi en convaincre encore plus de sortir du marché.
Finalement, il n’y a guère que 1 % de la baisse qui s’explique par la mollesse de la reprise économique et la tiédeur du marché du travail : certains Américains préfèrent temporiser plutôt que d’accepter un job qui ne leur plaît pas ou ne convient pas. Ils font par exemple une formation. Ceux-là, a priori, reviendront sur le marché un jour.
Mais, au total, le CBO anticipe une poursuite de l’effritement du taux d’activité. Il prévoit qu’il tombera à 60,8 % en 2024. Cela a des conséquences majeures pour l’économie.
« Le potentiel de croissance des dix prochaines années sera beaucoup moins élevé que la moyenne observée depuis les années 1950 », avertit le bureau, qui attend une croissance moyenne du PIB de l’ordre de 2,2 % entre 2018 et 2024.
Moins de croissance, moins de recettes fiscales, plus de dépenses sociales. Le déficit de l’Etat fédéral, qui doit revenir sur l’exercice fiscal 2014 à 514 milliards de dollars
, devrait repartir à la hausse dans les années qui viennent et de nouveau dépasser la barre des 1.000 milliards de dollars en 2022.
Comment faire pour contrer ces mouvements de fond ? Le sénateur John Thune, républicain du Dakota du Sud, travaille à un plan de réinsertion des chômeurs de longue durée, justement pour les empêcher de se retirer définitivement.
Le patron du CBO, Doug Elmendorf, a suggéré d’ouvrir les frontières et d’attirer des immigrants – de préférence qualifiés.
Les républicains veulent évidemment réformer l’Obamacare de manière à maintenir la motivation financière des travailleurs. Enfin, le législateur pourrait relever l’âge auquel on peut prétendre à la Social Security (la retraite publique) et Medicare (l’assurance-santé des seniors). Avec un hic : les gains d’espérance de vie enregistrés ces dernières années ont largement profité aux classes aisées, beaucoup moins aux Américains les plus modestes. D’où un problème d’équité.
C’est tout cela que Janet Yellen doit prendre en compte pour déterminer la politique monétaire de la Fed – le prochain comité de politique monétaire se tient les 18 et 19 mars. Si le déclin du taux d’activité est lié à des facteurs irréversibles et si le législateur n’agit pas pour doper le nombre des actifs, à quoi bon poursuivre une politique ultra-accommodante ? Peut-être à éviter la déflation. Mais c’est un autre sujet.
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