Michel Feher est philosophe et président de l'association « Cette France-là », qui analyse la politique migratoire de Nicolas Sarkozy, dans une démarche de contre-expertise. Il réagit à la présentation des chiffres de l'immigration 2011 par Claude Guéant mardi.
Comment avez vous perçu le bilan de l'immigration présenté par Claude Guéant mardi ?
Nicolas Sarkozy poursuit l’inflexion de la politique gouvernementale entamée avec le discours de Grenoble le 30 juillet 2010. Au début du quinquennat, le Président tentait encore de justifier une politique répressive à l'encontre des migrants, en invoquant des valeurs qui la démentait. Ainsi présentait-il l'immigration choisie comme un moyen dé conforter l’hospitalité des Français – puisque leurs hôtes seraient désormais utiles et respectueux des valeurs républicaines.
Les mesures répressives plaisaient à l’électorat frontiste, leur justification rassurait les modérés. Cette politique a atteint son point culminant lors du débat sur l'identité nationale. L'argument de Nicolas Sarkozy et d’Éric Besson ? « Cette campagne n'est pas xénophobe, elle vise au contraire à faire partager l'amour de la France aux étrangers ». Ce fut un échec total. Tandis que les électeurs du FN se sont lassés d’entendre que la France était généreuse, les centristes ont fini par ne plus supporter l’hypocrisie de l’argumentation.
Nicolas Sarkozy ne pouvait donc plus tenir cette politique. Deux solutions s'offraient à lui. La première, abandonner la dénonciation du péril migratoire, n'était pas envisageable. Le président n'avait rien d'autre à proposera ses concitoyens : faute de pouvoir les protéger du chômage ou de la précarité, il ne pouvait leur offrir de protection qu’à l’encontre d’un péril migratoire pourtant imaginaire. La seconde possibilité était de cesser le double langage et d’aligner ses paroles sur ses pratiques. C’est ce qui a été entrepris à partir du discours de Grenoble. Claude Guéant, symbole de ce tournant, n’entend plus favoriser l’immigration choisie ni même préserver la générosité française en la limitant, mais bien réduire l’immigration sous toutes ses formes pour que les Français se sentent à nouveau chez eux. Toutes les digues séparant l'UMP du FN ont fondu.
Guéant promet de revenir à 150000 entrées légales par an sur le territoire français, est-ce crédible?
En principe, c’est très compliqué, parce que la France est signataire de la convention européenne des droits de l’homme et que sa constitution lui impose des obligations. Mais d’un autre côté, l’effort principal du gouvernement depuis que Nicolas Sarkozy s’occupe de la politique d’immigration – en tant que ministre de l’intérieur puis en tant que président – a consisté à renforcer les privilèges de l’exécutif. Les préfets jouissent désormais d’un pouvoir discrétionnaire sans précédent et, depuis la loi Besson, le contrôle judiciaire de leur action a été considérablement réduit. Donc faire baisser le nombre d’entrants, c’est difficile mais pas impossible ; à condition d’aller encore plus loin dans les destructions des institutions démocratiques.
Que pensez-vous de l'affirmation de Claude Guéant : « Le niveau d'immigration détermine, d'une certaine façon, la société qui sera la nôtre et la société que nous voulons »?
C'est une manière intéressante de formuler une vérité. L’idée que l’immigration représente un problème majeur, ce qui est faux au regard de l’économie comme de la démographie, va-t-elle continuer à être accréditée par les politiques – et pas seulement à droite ? C'est une question cruciale qui détermine notre avenir. Car faute de démystifier le risque migratoire, la décomposition de notre démocratie se poursuivra.
Comment percevez-vous ce dernier tour de vis de Claude Guéant?
Encore une fois, ce n'est pas un dernier tour de vis, c'est la persistance de la tendance impulsée à l'été 2010 – et, à la rhétorique près, de la politique menée depuis le début du quinquennat. Elle a commencé avec la stigmatisation explicite des Roms et l’évocation d’un traitement spécial pour les criminels d'origine étrangère. Depuis lors, la politique de Claude Guéant n'est rien d'autre qu'une mise en œuvre de cet infléchissement. Si aujourd’hui, les médias parlent de tour de vis, c’est parce qu’ils ont, contre toute évidence, soutenu que Nicolas Sarkozy s’était rendu compte que son discours de Grenoble était une erreur et que, depuis, il se « représidentialisait ». Or, il n’en a jamais rien été : il y a seulement partage des tâches entre Claude Guéant, qui lutte contre l’immigration « incontrôlée », et le chef de l’État, qui combat pour sauver le triple A de la France –ou, à défaut, pour sauver la France même si elle perd son triple A.
Cela va-t-il convaincre les électeurs du Front National?
Dans un premier temps, la performance du ministre de l’intérieur va sans doute profiter à Marine le Pen et pas à Nicolas Sarkozy. Quand ils entendent Guéant, les électeurs du FN, ça les fait penser à Marine, qui dit la même chose mais avec plus d’allant. Mais l'UMP espère qu'ils se souviendront, au deuxième tour que Claude Guéant, et donc son patron, ce n’est pas si mal : faute de grives…Lire la suite sur Liberation.fr
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