Le cri d'alarme de Julian Assange au sujet d'Internet
Le fondateur de Wikileaks nous a reçus à Londres. Dans un livre, il dénonce le totalitarisme techonologique et ses menaces sur nos libertés

En décembre 2012, du balcon de l'ambassade d' (équateur, Julian Assange rappelait son combat pour la liberté de la presse et pour le droit du public à l'information. )
Depuis neuf mois, Julian Assange n'a pas mis le nez dehors. Réfugié dans la petite ambassade d'Équateur à Londres, le fondateur de WikiLeaks (1) est perçu comme l'un des ennemis publics des États-Unis les plus dangereux.
Compte tenu des accords d'extradition qui unissent les États-Unis et la Suède, d'où a été lancée contre lui une étrange procédure pour viols, le hacker le plus célèbre du monde estime nécessaire de se terrer chez ses hôtes équatoriens. Chacune des fenêtres de l'ambassade est surveillée nuit et jour par la police londonienne, qui a même songé un moment à forcer la porte pour le livrer au grand frère américain.
Chaque après-midi, des manifestants londoniens se relaient pour assurer Julian Assange, derrière ses fenêtres, de leur soutien. Ils brandissent des pancartes sous le nez des policiers. Des anonymes, dont beaucoup sont originaires d'Amérique latine et qui organisent une sorte de veille à laquelle Assange est très sensible.
« Un cri d'alarme »
Julian Assange est un résistant. Il ignore quand prendra fin sa vie de fugitif. Même une élection en septembre aux sénatoriales en Australie - sa patrie d'origine - ne lui conférerait pas l'immunité suffisante pour qu'il puisse mettre le nez dehors.
Ce n'est néanmoins pas son cas personnel qui l'a poussé à nous recevoir un matin où le froid mordait les vitrines de Harrods, situées en face de l'ambassade d'Équateur à Londres. Mais la publication d'un livre, aujourd'hui, chez Robert Laffont.
Assange et trois autres militants d'Internet y débattent des implications de la révolution numérique sur la protection de notre vie privée et sur nos libertés les plus fondamentales. L'ambassade d'Équateur à Londres est devenue sa patrie et son bureau. Julian Assange y travaille et y reçoit tel un ministre. Un ministre en tee-shirt, aux cheveux blancs, à la voix grave et aux yeux bleu nuit où brillent des feux glacés.
« Ce livre n'est pas un manifeste. Il n'y a plus de temps pour cela. Ce livre est un cri d'alarme. » Telle est la première phrase de « Menace sur nos libertés », dont la lecture donne plus d'une fois l'envie de jeter smartphone, tablette et ordinateur par la fenêtre. Ce « royaume platonique » d'Internet est devenu, à les lire, « le plus redoutable auxiliaire du totalitarisme qu'on ait jamais connu. Internet est une menace pour l'humanité », écrivent-ils encore en préambule.
Au nom de la lutte contre ceux que Jacob Appelbaum désigne dans cette discussion sous le nom des « quatre cavaliers de l'Infocalypse », à savoir la pornographie enfantine, le terrorisme, le blanchiment d'argent et le marché de la drogue, les États se sont accordé toute latitude pour intercepter, stocker et traiter tous nos échanges sur Internet, expliquent en détail les quatre hommes.
Un espionnage en règle
Le monde traverse, à les entendre, une ère de stockage de masse des communications privées. Un stockage, une interprétation et une analyse qui coûtent de moins en moins cher, et dont les systèmes sont vendus à tous les régimes, les États-Unis ayant la haute main sur l'ensemble via les transactions bancaires. « Quand Poutine sort acheter un Coca, Washington est au courant trente secondes après », résume Assange.
Expliquer comment lutter contre cet espionnage en règle, qui en plus est délégué au privé, ainsi que l'atteste, entre autres, « l'accord scandaleux » signé par François Hollande avec Google sous les ors de l'Élysée, telle est l'ambition de cet ouvrage qu'on ne lâche pas en dépit de nombreuses redondances et lourdeurs.
« Nous sommes à un tournant, estime le Français Jérémie Zimmermann, installé dans un café de la place de la République à Paris. Soit les gouvernements, influencés par les puissances industrielles, vont tenter de découper, de saucissonner Internet pour en faire une série d'intranets connectés les uns avec les autres mais contrôlables, afin que rien de bouge. Soit la sphère publique en réseau qu'est Internet - qui est la seule apte, selon moi, à répondre aux problèmes d'ampleur globale auxquels nous faisons face en termes de démocratie, de finance, d'énergie, d'environnement - sera mise en action. »
Cet ouvrage, auquel ne va pas manquer d'être reprochée une sorte de « paranoïa », nous ouvre les yeux sur un nouveau monde. Le nôtre.
(1) WikiLeaks s'est donné pour mission de recueillir des informations fournies par des lanceurs d'alerte afin de les livrer au public. En 2010, WikiLeaks a lancé sa série de publications la plus réputée à ce jour, qui révélait le recours systématique au secret officiel dans l'armée et le gouvernement des États-Unis.
Source via Incapable de se taire
« Menace sur nos libertés, comment Internet nous espionne, comment résister », est publié chez Robert Laffont (250 pages, 19 €). Ce livre est la transcription de longues heures d'entretiens qui ont eu lieu à l'ambassade d'Équateur entre Julian Assange, 41 ans, rédacteur en chef de WikiLeaks, et trois autres militants d'Internet.
Jacob Appelbaum est un Américain de 30 ans et l'un des principaux hackers du Tor Project, un système d'anonymat en ligne permettant de « résister à la surveillance et à la censure sur Internet ». Andy Müller-Maguhn est un Allemand de 41 ans, spécialiste des techniques de surveillance et de cryptage sur Internet.
Enfin, le Français Jérémie Zimmermann, 35 ans, est le porte-parole de La Quadrature du Net, association européenne de défense des libertés sur Internet.
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