Un rapport demandé par Christiane Taubira veut confier au seul greffier cette procédure qui représente plus de la moitié des divorces prononcés en France.
Voilà un bouleversement que les magistrats accueillent avec un mélange de circonspection et de résignation. Le rapport sur le «juge du XXIe siècle», piloté par Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de la cassation préconise de «transférer au greffier juridictionnel le divorce par consentement mutuel, sans qu'il y ait lieu de distinguer en fonction de la présence d'enfants ou de la consistance du patrimoine». «Cette proposition a suscité d'importantes discussions au sein du groupe de travail, mais elle a recueilli un large consensus», lit-on dans ce document qui a été demandé par Christiane Taubira et qui sera présenté à la garde des Sceaux lors d'un colloque le 10 et 11 janvier à l'Unesco sur la justice du XXIe siècle.
«Avons-nous le choix compte tenu de ce qu'est devenue l'activité dans les tribunaux?», soupire un haut magistrat parisien, qui a bien conscience de l'engorgement des juridictions. «Après tout, les greffiers sont des professionnels qui ont un très haut niveau de formation et de technicité, ils sont tous bac +5, connaissent parfaitement les arcanes des juridictions et savent élaborer les dossiers», affirment-ils. Pour autant, les conclusions du rapport Delmas-Goyon ne cachent pas les difficultés d'une telle révolution copernicienne, qui vise ni plus ni moins à écarter le juge d'une de ses fonctions les plus visibles et les plus symboliques pour le grand public. Car si le citoyen moyen peut passer une vie sans être confronté à la justice, 80% de l'activité des tribunaux est accaparée par les affaires familiales, dont le contentieux majeur reste celui du divorce.
Le rapport rappelle aussi que «beaucoup d'instances modificatives montrent l'émergence de situations très conflictuelles, bien que les époux aient fait le choix initial de divorcer par consentement mutuel. Il doit en être déduit que ce choix d'une procédure non contentieuse répond dans nombre de cas à la préoccupation de trouver un compromis acceptable à court terme, moins onéreux et plus rapide, sans qu'aient été réellement recherchées des solutions aux problèmes de fond posés par la séparation».
Garde-fous
Fort de ce constat, le rapport tente de poser quelques garde-fous: «Il faut s'assurer que l'accord obtenu est équilibré, qu'il préserve les intérêts de chacun et n'est pas la conséquence de l'abus d'une position dominante. Il faut aussi vérifier que le choix de la procédure du divorce par consentement mutuel est réfléchi et qu'il traduit une véritable volonté de rechercher une solution amiable aux conséquences personnelles, parentales et patrimoniales du divorce.»
Des recommandations bien nécessaires, mais certainement pas suffisantes pour les syndicats de la magistrature, comme l'Union syndicale des magistrats (USM):
«On ne peut pas enlever des compétences au juge sans autre considération», s'insurge le syndicat, qui réclame de se poser la question de «l'intérêt pour le justiciable».
Un tel transfert de compétence implique aussi «un changement du statut des greffiers» et une formation spécifique, que prévoit le rapport Delmas-Goyon. Mais ces derniers, à qui seront transférés des pouvoirs juridictionnels importants, resteront des fonctionnaires ne bénéficiant pas des caractéristiques du statut propre aux juges: l'indépendance et l'inamovibilité, qui vont avec ses obligations et sa liste d'incompatibilités. Le rapport Guinchard, il y a quelques années, avait pensé confier les divorces aux notaires. La Place Vendôme y avait renoncé devant la bronca des avocats.
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