"Je suis restée trente ans dans le silence": la fille de Bayrou s'exprime sur l'affaire Bétharram
«Bétharram était organisé comme une secte»
Affaire Bétharram : "C’était Sade dans la réalité", révèle la fille de François Bayrou, elle aussi victime de violences dans un camp d’été religieux
Hélène Perlant, la fille du Premier ministre François Bayrou, prend la parole ce mardi 22 avril dans un entretien accordé à Paris-Match. Elle témoigne de violences subies lors d’un camp d’été dans les Pyrénées. Un séjour organisé par la même congrégation à laquelle Bétharram appartient, alors que les témoignages de violences physiques et sexuelles se sont multipliés.
Elle qui a comparé ce pensionnat catholique à "une secte" et "un régime totalitaire", a été victime de violences par l’abbé Lartiguet lors de ce camp d’été.
"Un soir, alors qu’on déballe nos sacs de couchage, Lartiguet me saisit tout d’un coup par les cheveux, il me traîne au sol sur plusieurs mètres et me roue de coups de poing, de coups de pied sur tout le corps, surtout dans le ventre. Il pesait environ 120 kg", explique celle qui était alors âgée de 14 ans. « Pour parler crûment, je me suis urinée dessus et suis restée toute la nuit, comme ça, humide et prostrée dans mon duvet », ajoute Hélène Perlant, aujourd’hui âgée de 53 ans.
Alors que François Bayrou, ancien ministre de l'Éducation et maire de Pau, est accusé d'avoir couvert cette affaire, Hélène Perlant explique n'avoir jamais parlé des violences subies:
Scandale #Bayrou : #pédophilie étouffée dans un lycée catholique Le Beau Rameau, autrefois appelé Notre-Dame-de-Bétharram, où ses enfants étaient scolarisés.
"Une affaire hors-norme" : plus de 100 anciens
élèves de Notre-Dame de Betharram ont déposé
plainte pour violences sexuelles
"Je suis restée trente ans dans le silence. En dehors de ça, pas une allusion, à personne. Mon père, j’ai peut-être voulu le protéger, inconsciemment, je pense, des coups politiques qu’il se prenait localement. Et il en prenait! La violence a toujours été là, même lors de ses premiers mandats".
Dans un livre témoignage, Le Silence de Bétharram, la victime dit avoir été "rouée de coups de poing, de coups de pied sur tout le corps" par le père Lartiguet, mort en 2000, alors qu'elle n'était âgée que de 14 ans. Mais, la faute à un système qui encourage le silence, personne n'a dénoncé cette scène, presque habituelle dans cet environnement.
"Tu me dénonces?"
Que sait ou savait à l'époque François Bayrou de ces violences au sein de l'établissement de sa propre fille? Rien, à en croire la version mise en avant par Hélène Perlant. Il aurait appris par voie de presse le témoignage de sa fille.
“Le Canard enchaîné l’a contacté il y a un mois pour réagir, j’imagine, à la sortie du Silence de Bétharram dans lequel ils lui ont appris que j’intervenais. Il m’a téléphoné: 'C’est vrai ?' me demande-t-il. On en rigole et il reprend : 'Tu dis quoi? Tu penses quoi? J’ai un peu la trouille! Tu me dénonces? – Je ne te réponds pas! Tu verras!' Il ne sait pas que je suis victime et il ne sait pas que je vais témoigner comme victime", raconte-t-elle à Paris Match.
"Évidemment, on peut penser qu’il a eu toutes les infos. Mais lui, comme les autres parents, était très, très intriqué politiquement, localement. Lui davantage. Mais je le mets au même niveau que tous les parents. Plus on est intriqué, moins on voit, moins on comprend", explique-t-elle aussi.
Le Premier ministre, visé par une plainte pour non-dénonciation de crime et délit, va devoir répondre sous serment face au député le 14 mai prochain. François Bayrou sera auditionné par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale dédiée aux violences à l'école, née dans le sillon de cette affaire.
De son côté, l'auteure explique avoir "besoin de participer à lever" le voile sur les agissements commis au sein de cet établissement durant des décennies entières.
«Il est juste paumé»
Quand bien même plusieurs témoignages pointent l’inaction de Bayrou, Hélène Perlant le certifie tout au long de son échange avec Paris Match : elle n’avait jamais parlé de ce qu’elle avait vécu à son père. «Le Canard enchaîné a contacté [le Premier ministre] il y a un mois pour réagir, j’imagine, à la sortie du Silence de Bétharram dans lequel ils lui ont appris que j’intervenais. Il m’a téléphoné : «C’est vrai ?» me demande-t-il. On en rigole et il reprend : «Tu dis quoi ? Tu penses quoi ? J’ai un peu la trouille ! Tu me dénonces ? – Je ne te réponds pas ! Tu verras !» Il ne sait pas que je suis victime et il ne sait pas que je vais témoigner comme victime.»
Elle revient également sur le témoignage de R., un ancien élève de Bétharram cité anonymement dans un article du journal local Sud-Ouest en février, qui a porté plainte pour non-dénonciation de crimes et délits contre Bayrou. «Lors d’une étude où R. était assis à côté de moi, un gamin a été violemment frappé par un surveillant. R. a vu mon regard sidéré et il a pensé en toute bonne foi que j’allais forcément raconter la scène à mon père. Jamais !», certifie-t-elle, défendant son père bec et ongles. Jusqu’à l’exonérer de toute responsabilité : «Je pourrais jurer qu’il n’a rien pu comprendre. Sinon, ce serait Dieu ! On ne peut pas comprendre ce système pervers […] Il n’a pas couvert, il est juste paumé au milieu de ce dispositif pervers.»
François Bayrou sera entendu par la commission d’enquête parlementaire sur les violences et les contrôles de l’Etat dans les établissements scolaires le 14 mai en tant qu’ancien ministre de l’Education nationale entre 1993-1997.
Plus d'un demi-siècle d'agressions
"C'est une affaire hors norme. De par le nombre d'agresseurs et par la durée". Plus d'un demi-siècle d'agressions. Les auteurs sont des prêtres, des laïcs et aussi des élèves. Le travail de fourmi d'Alain Esquerre a permis d'établir l'existence d'un système de pédophilie et de pédocriminalité qui a duré plus de cinquante ans, un système protégé par le silence de l’église, de l’Education nationale, mais aussi celui aussi des élus et des habitants.
Ancien élève, lui-même victime de violences physiques dans les années 1980, Alain Esquerre a recueilli toutes les plaintes. "J'ai lu tous les CERFA. Au début, j'en pleurais. Une phrase revient dans toutes les plaintes : "ils ont brisé ma vie", constate le lanceur d'alerte qui continue, encore aujourd'hui, à recevoir des plaintes. Son groupe de parole est passé de 300 à 1 200 membres.
Les plaignants sont d'anciens élèves, alors mineurs au moment des faits, âgés entre 8 et 13 ans, brisés par les humiliations et les actes subis. "Aujourd'hui, les victimes déposent dans toutes les gendarmeries de France. Comment le procureur de Pau peut encore attendre pour ouvrir une information judiciaire ? ", s'interroge Alain Esquerre.
On est passé d'une affaire régionale à un scandale national.
Alain Esquerre,porte-parole des victimes de Notre-Dame de Bétharram
Des dizaines de plaintes chaque mois
En janvier 2024, vingt premières plaintes sont déposées pour des faits de violences, agressions sexuelles ou viols, datant des années 1970 aux années 1990. Elles visent des laïcs et religieux ayant exercé ou exerçant à l’Institution Notre-dame-de-Bétharram. "Lors des premières plaintes, j'avais la crainte qu'il y ait des victimes après l'an 2000. J'avais raison", se souvient-il.
Le 2 février, le procureur de la République à Pau a ouvert une enquête préliminaire. Les auditions des plaignants sont toujours en cours.
Puis, dans la foulée, coup de tonnerre à Bétharram, le 14 février. Sous la pression médiatique, notamment d'un reportage diffusé à France 2, un surveillant visé par huit plaintes d’anciens élèves et toujours en poste, a été écarté de l’ensemble scolaire Le Beau Rameau, le nouveau nom de l’Institution Notre-dame-de-Bétharram. L'établissement a indiqué à France 3 Aquitaine, en juin, que le surveillant avait depuis quitté l'établissement. Il aurait signé une rupture conventionnelle de contrat après quarante ans passés à Bétharram selon nos informations.
En juillet, Alain Esquerre dépose de nouvelles plaintes portant le total à 108, dont cinquante pour des faits de nature sexuelle." J'ai reçu récemment de nouvelles plaintes dont les faits se sont déroulés entre 2013 et 2016. Il s'agit d'actes de violences physiques, et d'abus sexuels".
"Comme si rien de rien n'était"
Alain Esquerre insiste. " Il faut un juge d'instruction ! D'un côté, il y a des satisfactions, car les auditions avancent plus vite. De l'autre, un peu de colère parce qu'il y a des décennies d'omerta qui pèsent ! Toutes les plaintes sont identiques. Plus de deux générations d'agressions et d'agresseurs. Et encore, cela s'arrête parce qu'avant les années 50, les personnes sont aujourd'hui décédées. Cela paraît fou que la responsabilité de soulever une telle affaire pèse sur un homme ordinaire ! Et on peut ajouter le silence de l'Education nationale : pas un recteur ne s'est ému", déplore-t-il, avant de s'émouvoir du silence des élus locaux, notamment ceux ayant eu une portée nationale.
Pas un homme politique ne s'est emparé de ce scandale. Il y a François Bayrou, mais aussi Michèle Alliot-Marie, et d'autres.
Alain Esquerre,porte-parole des victimes de Bétharram
Une inertie qu'Alain Esquerre estime avoir retrouvé chez les habitants. "Il n'y a pas de prise de conscience collective, assure-t-il. Cela s'est passé sous nos yeux et l'internat est toujours ouvert ! Le directeur actuel fait comme si de rien était, alors que le scandale de pédophilie est avéré aujourd'hui".
Des décennies d'omerta
France 3 Aquitaine a tenté, à plusieurs reprises depuis le début de l'affaire Bétharram, de solliciter les diocèses de Bayonne et de Lourdes. Des demandes restées sans réponse.
Le maire de Pau, François Bayrou fut tour à tour député des Pyrénées-Atlantiques, président du Conseil général, ministre de l'Éducation nationale, mais aussi parent d'élève avec deux enfants scolarisés à Notre-Dame de Bétharram. Son épouse y a enseigné le catéchisme. Il n'a pas donné suite à nos multiples demandes d'interviews.
Également contacté, le rectorat de Nouvelle-Aquitaine qui contrôle les enseignants du secteur privé, a répondu par mail, très laconique. "Les faits évoqués remontent aux années 70 à 90. À ce stade de la procédure, le rectorat n’a pas suffisamment d’éléments pour répondre sur les éventuels agissements des enseignants de cette période, mais les services académiques sont en lien avec l’autorité judiciaire au sujet de la procédure judiciaire en cours".
"Les défenseurs de Bétharram disent que les victimes font ça pour l'argent" , regrette Alain Esquerre.
Les gens minimisent encore. Et les enseignants sont murés dans le silence.
Alain Esquerre,porte-parole des victimes de Bétharram
Une congrégation invisible
L'institut Notre-Dame de Bétharram a été fondé au XIXe siècle par la congrégation religieuse des pères du Sacré-cœur de Bétharram, qui a dirigé l'ensemble scolaire jusqu'en 2009. Cette congrégation est sortie du silence le 6 septembre dernier en diffusant un long communiqué de presse en forme de "mea-culpa". Elle assure être "déterminée à accompagner les victimes des abus sexuels et des violences physiques".
"Depuis plusieurs mois, de nombreuses révélations sur les terribles événements qui se sont déroulés au sein de l’établissement scolaire de Bétharram ont été relayées dans les médias, et plus particulièrement des témoignages relatant des abus sexuels et des violences physiques, commis pour la plupart des années 1970 aux années 1990", a écrit la congrégation. Les plaintes mettent en cause au moins huit prêtres, qui ont dirigé l'école privée, pour des agressions sexuelles sur mineurs de moins de 13 ans.
Cette congrégation, qui dépend directement du Vatican, a également exprimé sa volonté d'accompagner les victimes. "La congrégation de Bétharram poursuit avec détermination ce chemin de reconnaissance et de réparation en allant à la rencontre de tous ceux qui le désirent et à mettre en œuvre toutes les mesures concrètes afin que ces violences criminelles soient définitivement bannies", écrit Jean-Dominique Delgue. Le vicaire général de la congrégation de Bétharram a confié à une ONG de Bayonne une mission de médiation avec les victimes. Dans les faits, depuis ce message, elle est absente des démarches.
Selon Alain Esquerre, une rencontre est prévue en janvier prochain entre la congrégation et un groupe de victimes. "Ça va être un dialogue de sourds si on n'échange pas avant pour préparer la rencontre, prédit le porte-parole des victimes. La congrégation se cache derrière la Commission de réparation de l'église (CRR ),qui assure le service après-vente en distribuant quelques chèques pour indemniser les victimes des prêtres pédophiles. Mais ça ne répare pas le traumatisme ni le préjudice.
C'est le mépris qui pèse ! On attend de la congrégation qu'elle plaide coupable ; il faut arrêter de se cacher", lance Alain Esquerre qui regrette l'attitude en demi-teinte de la congrégation.
Les agressions sexuelles sur enfants étaient systématiques à Bétharram. Il faut ouvrir les archives et permettre aux victimes d'entrer dans les lieux. Mettre en place une cellule psychologique a minima !
Alain EsquerreAncien élève de Notre-Dame de Betharram, lanceur d'alerte
Malgré nos relances, la congrégation a refusé notre demande d'interview. Elle dit "s'en tenir au communiqué du 6 septembre."
Un prêtre mis en cause continue d'officier
Par ailleurs, un des membres de la congrégation, le père Lamasse, 93 ans, mis en cause par un ancien élève pour des abus sexuels entre 1959 et 1962, assure toujours la messe à l'Ehpad de Bétharram tous les jeudis matin. Une provocation pour les victimes. " Ce prêtre a été reconnu coupable par l'Eglise, qui a indemnisé une des victimes. Et la congrégation le protège et continue de le mettre en avant. C’est du mépris", s'agace Alain Esquerre.
Et la justice ? Le parquet a confié l'enquête à la section de recherche de la gendarmerie de Pau. "Les enquêteurs ont pu auditionner trois quarts environ des personnes s’étant manifestées par lettre plainte. Les dernières auditions auront lieu avant la fin de l’année. Nous progressons donc sensiblement. À l’issue de ces auditions, une décision sera prise sur l’orientation de ce dossier", assure Rodolphe Jarry, procureur de la république de Pau, dans un mail en date du 13 novembre.
Alain Esquerre est persuadé que l'ouverture d'une instruction judiciaire va aider la parole à se libérer. D’autres victimes se feront connaître. "On n'est qu'aux prémices du scandale. Il faut encore du temps. Depuis les années 1950, plus de 5 000 élèves ont défilé à Bétharram. Quand on évoque la scolarité, il y a toujours un malaise chez les anciens et aussi les plus jeunes. C’est palpable".
En coulisses, la panique grandit ...
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