Emmanuel Macron recevra lundi son homologue russe Vladimir Poutine au Grand Trianon à Versailles. Au-delà du prétexte de l'exposition consacrée à la visite de Pierre le Grand en France en 1717, ce choix nourrit la posture résolument régalienne du nouveau chef de l'Etat.
Durant son quinquennat, François Hollande ne se sera servi qu'à deux reprises du faste versaillais pour ses rendez-vous diplomatiques. Nicolas Sarkozy n'en fera même lui usage qu'une seule fois. C'était lors de la célèbre visite du Libyen Mouaamar Kadhafi en 2007. A peine élu et installé à l'Elysée que le Jupitérien Macron reçoit déjà l'un des plus influents hommes d'Etat dans l'ancienne demeure du Roi Soleil, écrin ultime de la puissance française.
Lundi, le président russe, qui a entretenu des relations tendues avec l'équipe de campagne d'En marche!, débarquera pour la première fois au Grand Trianon. Il inaugurera avec Emmanuel Macron l'exposition de l'Ermitage sur le 300e anniversaire de la première visite de Pierre Ier en France. Puis il sera l'heure d'un «échange d'opinions», selon les mots du Kremlin, où seront abordées «les questions actuelles internationales et régionales, notamment la coordination de la lutte contre le terrorisme et le règlement des crises en Syrie et en Ukraine».
Mais quels symboles se cachent derrière le choix de château de Versailles ? Quel lien entre ce lieu monarchique et les présidents de la République ? Réponse avec le documentariste Frédéric Biamonti, formé à Sciences-Politiques Paris et à la FEMIS, auteur du film «Versailles, rois, princesses et présidents» en 2015.
Inviter Vladimir Poutine à Versailles, est-ce un cadeau empoisonné ?
Frédéric Biamonti : «C'est difficile à dire. Accueillir un chef d'Etat là-bas, c'est à double tranchant. D'un côté, il s'agit de l'honorer copieusement, d'inscrire cette rencontre dans le temps, tant le lieu symbolise l'Etat dans ce qu'il a de plus précieux. Et d'un autre côté, il s'agit d'écraser son hôte sous le faste, de l'étouffer sous la grandeur tricolore. Pour les présidents de la République française, Versailles, est une façon de se hisser au prestige de la monarchie».
C'est un choix d'autant plus surprenant qu'il intervient seulement quinze jours après son entrée en fonction à l'Elysée...
F. B : «Pour un début de quinquennat, c'est en effet plutôt une surprise. Ce geste se range dans le catalogues des gestes régaliens. Il y a quelque chose de considérable dans une telle invitation. Surtout que c'est une demande d'Emmanuel Macron. En 2014, François Hollande avait répondu à une demande du dirigeant chinois Xi Jinping. Il lui avait alors organisé une soirée à l'Opéra royal, avec un orchestre de musique chinoise et un dîner intimiste. Quelque chose de très honorifique».

Quand est-ce qu'un Russe a été reçu pour la dernière fois dans ce château ?
F. B : «Cela remonte à 1992. François Mitterrand s'en était servi pour opérer un véritable rattrapage diplomatique. Il voulait se faire pardonner de l'année précédente où il avait volontairement reçu de manière très désinvolte Boris Eltsine, alors maire de Moscou. Mitterrand lui préférait le président Gorbatchev, d'une sensibilité politique. Il s'est servi de Versailles pour réparer son erreur une fois qu'Eltsine est devenu président de la Fédération de Russie.»

La réception de chefs d'Etat à Versailles a été réhabilitée par le général de Gaulle en 1961. Tous les présidents s'y sont-ils ensuite soumis ?
F. B. : «Oui, Charles de Gaulle n'aimait pas l'Elysée, qu'il comparait à un hôtel de cocottes. Alors, il a rénové le Grand Trianon, avec une partie pour loger les présidents français et une partie pour les homologues étrangers. Une façon de personnaliser leur relation, selon lui. Pompidou, ça l'amusait tout autant d'aller là-bas, sa femme aussi qui portait de longues robes pour l'occasion. Valéry Giscard-d'Estaing l'a énormément utilisé. Il y a notamment reçu le Shah d'Iran en 1974 ou encore le président américain Jimmy Carter en 1978. »
La plus grande manifestation organisée à Versailles reste tout de même le G7 en 1982 sous François Mitterrand...
F. B : «Exactement, c'était grandiose. Un choix tout sauf anecdotique pour celui qui est le premier président socialiste de la Ve République. Des communistes sont au gouvernement, et il sait que cela ne plaît pas à Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Alors, il va revêtir les habits monarchiques. Il a employé une courtoisie royale rare. Dans la lignée de Louis XIV, il leur a même fait visiter les jardins royaux la nuit».

Depuis les années 1990, les présidents semblent moins enclins à s'y rendre. Pourquoi ?
F. B : «Pour des raisons très pratiques. Il y a environ sept millions de touristes chaque année qui visitent le château. Difficile de bloquer les tour operators... Même chose au niveau de la circulation. C'est compliqué de bloquer l'autoroute pour les cortèges officiels. Bref, cela montre bien à quel point ce geste est très réfléchi de la part d'Emmanuel Macron. »
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