L'Europe de la défense a beau être en panne, elle fait des envieux. Washington veut devenir "nation associée" et intégrer l'état-major. De quoi je me mêle ?
Photo d'illustration © Christian Hartmann / Sipa
On en apprend de belles en lisant le énième rapport sur l'Europe de la défense, publié à la commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale par les députés Joaquim Pueyo (socialiste, Orne) et Yves Fromion (UMP, Cher), titré "La relance de l'Europe de la défense". On y découvre notamment que les États-Unis réclament aujourd'hui officiellement le statut de "nation associée" à l'Eurocorps. Les rapporteurs nous expliquent que l'Oncle Sam veut y intégrer "sept militaires, voire un peu plus. [...] Mais la concrétisation de ce projet bloque actuellement sur des questions de statut juridique des militaires américains qui seraient affectés à Strasbourg."
Pas de volonté politique
Rappelons que l'Eurocorps, opérationnel depuis 1995, est un état-major de corps d'armée européen. Il a vocation à diriger un ou plusieurs déploiements pouvant compter au total 65 000 hommes, mais ne dispose en permanence que d'un état-major de 400 hommes et d'une brigade multinationale d'appui au commandement de 600 hommes. La France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne et le Luxembourg sont des "nations-cadres" de l'Eurocorps, auxquelles s'ajoutent les nations "associées", à savoir la Grèce, la Turquie, la Pologne et l'Italie. La Roumanie les rejoindra prochainement. C'est aussi ce statut de "nation associée" que réclament les États-Unis. Pour le reste, les rapporteurs soulignent que l'Eurocorps aurait été parfaitement adapté pour prendre en charge l'encadrement de l'opération Serval, au Mali : "À condition qu'une réelle volonté politique existe [...], si cette mission lui était attribuée, il serait capable de planifier une opération militaire terrestre dans des délais rapides." Certes, mais en matière de défense européenne, les "si" sont légion..
Car souvenons-nous de la brigade franco-allemande (BFA), qui existe depuis 25 ans en associant des unités françaises et allemandes, l'une de ces dernières étant implantée en France à Illkirch-Graffenstaden, beau symbole de la réconciliation entre les deux pays. Mais les rapporteurs sont tout aussi effondrés par la brigade que par l'Eurocorps : "En réalité, la BFA est très utilisée, mais mal, c'est-à-dire pas sous la bannière européenne ; elle est projetée sur des mandats nationaux." Et encore une fois, l'opération Serval est "typiquement l'opération dans laquelle la BFA aurait pu être utilisée. [...] Encore eût-il fallu une volonté politique et cette dernière a fait défaut." Plus fort encore ! La BFA n'a même pas été mise à contribution pour l'opération de formation de l'armée malienne confiée à l'EUTM-Mali, qui a mis des mois à se mettre en place. Mais non, encore raté !
Enchevêtrement d'organismes
Tout est à l'avenant : les structures européennes qui se consacrent à la défense sont innombrables, mais ne fonctionnent pas souvent, à l'image de la brigade franco-allemande qui ne possède aucun lien avec l'état-major de l'Union européenne. Les rapporteurs écrivent d'ailleurs qu'"on se perd dans l'enchevêtrement de tous ces organismes". Il existe pourtant quelques bons résultats, dont la mission anti-piraterie en Somalie Atalanta fait partie, et certains exemples de coopération industrielle européenne sont des succès. Les armées de l'air coopèrent aussi efficacement, à tel point que les Européens ont pu fournir de gros moyens logistiques à l'opération Serval. À cet égard, les rapporteurs se plaisent à souligner que l'EATC (European Air Transport Command) est une vraie réussite. Mais pour le reste, la défense européenne est encore une utopie : "Pourquoi tant d'instances, pourquoi tant d'efforts pour en arriver à si peu de résultats ? L'actualité malienne rend cette question encore plus lancinante." Et de conclure : "Il est évident que l'Europe de la défense ne se construira pas à 27." À combien, alors ?
source
Commenter cet article