Au moment même où les Américains découvraient le rapport accablant du Sénat sur la brutalité et l’inefficacité des interrogatoire de dizaines de détenus dans des prisons de la CIA, le ministère de la Justice a d'emblée prévenu que le dossier ne serait pas rouvert.
Un responsable du ministère, sous couvert d'anonymat, a indiqué qu'"aucune information nouvelle" n'avait été trouvée dans le rapport publié mardi, depuis une "enquête approfondie" menée en 2009. "Nous nous tenons à notre première décision de ne pas engager de poursuites pénales", a-t-il déclaré.
Pourtant, les détails du rapport de la Commission du renseignement du Sénat, qui décrit comment des détenus ont été attachés pendant des jours dans le noir, projetés contre les murs, plongés dans des bains glacés, privés de sommeil, ou alimentés de force par voie rectale, ont suscité des réactions scandalisées à travers le monde.
"L'efficacité" de ce programme contre la menace terroriste, comme le soutient la CIA, ne peut pas justifier la torture et des "crimes inexcusables", a estimé mercredi l'ancien consultant d'une autre agence américaine d'espionnage, la NSA (National Security Agency), Edward Snowden, qui avait révélé l'ampleur du système de surveillance américain.
Berlin a dénoncé "une violation grave des valeurs démocratiques", tandis que l'Union européenne a estimé que ces révélations "soulèvent d'importantes questions sur la violation des droits de l'homme par les autorités américaines".
"Les responsables de cette conspiration criminelle doivent être présentés devant la justice", a prôné le rapporteur de l'ONU sur les droits de l'homme, Ben Emmerson.
Le nouveau président afghan Ashraf Ghani s'est dit "outré", dénonçant des "actes inhumains" qui ont alimenté "un cercle vicieux" de violence dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001.
Même l'Iran, régulièrement fustigé à l'ONU pour son bilan en matière de droits de l'homme, a dénoncé sur Twitter "le symbole de la tyrannie contre l'humanité".
- Gifle contre missile -
Le rapport ne cite aucun des pays qui ont accueilli des centres d'interrogatoire de la CIA, mais l'ancien président polonais Aleksander Kwasniewski (1995-2005) a confirmé pour la première fois mercredi que la CIA avait mené dans son pays des interrogatoires brutaux, et souhaité que les responsables américains soient punis.
La présidente de la Lituanie, Dalia Grybauskaite, a affirmé que son pays était prêt à "assumer sa responsabilité", alors que le parquet lituanien enquête sur la présence en Lituanie d'éventuels centres secrets de la CIA.
Cette dernière, qui conteste les conclusions du rapport, est accusée d'avoir soumis 39 détenus à des techniques d'interrogatoire poussées, parfois non approuvées par l'exécutif.
Un des architectes de ce programme, le psychologue James Mitchell, interrogé par le site d'informations Vice, a estimé que "cela lui semblait complètement inconscient de considérer que gifler KSM (Khaled Cheikh Mohammed, cerveau présumé du 11-Septembre, ndlr) c'est mal, mais qu'envoyer un missile Hellfire sur un pique-nique familial et tuer tous les enfants (...) c'est bien".
"Aucune nation n'est parfaite", a réagi Barack Obama, qui utilise le terme de "torture".
"Nous assumons notre responsabilité pour cette période horrible et nous devrions être fiers d'être capables de faire cela", a de son côté déclaré le secrétaire d'Etat John Kerry.
Pour la puissante Union des libertés américaines (ACLU), "l'administration Obama peut commencer à réparer les abus commis en notre nom" en nommant un procureur spécial.
Les organisations de défense des droits de l'homme et des avocats ont exhorté Washington à engager des poursuites à l'encontre des responsables impliqués.
Pour Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch, le rapport du Sénat "doit être la base d'une enquête pénale". L'association de défense des droits de l'homme britannique, Cage, a estimé qu'"il y a là (dans ce rapport) des preuves évidentes justifiant des poursuites judiciaires".
David Nevin, l'avocat de KSM, l'un de ceux qui a subi le plus de tortures selon le rapport, a déploré auprès de l'AFP le fait que "personne au gouvernement ne soit tenu pour responsable de ces violations claires du droit américain et international".
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