Atlantico : Mario Draghi s'est récemment prononcé en faveur d'un fédéralisme politique, d'une union bancaire, et d'une supervision bancaire sous instance européenne. En formulant de telles propositions, peut-on dire que le président de la BCE fait-il de la politique ?
Mathieu Mucherie : Oui, il fait de la politique. C'est une attitude trotskyste de sa part ("tout est politique ou doit le devenir") : rien dans le mandat BCE ne l'autorise à émettre de tels jugements. C'est la même chose quand Bernanke s'exprime sur la qualité du système de santé US ou sur le régime de retraite. Si ça ne provoque pas un scandale, c'est à cause de la régression intellectuelle et morale qui frappe l'Occident.
Paul Goldschmidt : Le Président Draghi reste parfaitement dans son rôle en formulant ses propositions. Le lien entre une « Europe Fédérale » comme condition préalable à une « union bancaire » et une « supervision sous instance européenne » est évident. L’affirmation de ce fait par un acteur aussi incontournable qu’ indépendant est le bienvenu et est de nature a faire avancer le débat dans le bon sens.
Mario Draghi, en tant que président de la Banque centrale européenne, ne sort-il pas de son mandat ? Peut-il réellement interférer sur le terrain politique ou simplement influencer le débat ?
Mathieu Mucherie : Si Draghi veut alimenter le débat, qu'il autorise déjà le débat au sein du SEBC et qu'il publie les minutes du comité de politique monétaire comme tous les autres banquiers centraux. L'écosystème de la pensée critique est peu développé au sein de la BCE. La lecture des "Décisions absurdes" de Christian Morel serait un bonne chose. A moins que l'objectif de Draghi ne soit le chantage.
Paul Goldschmidt : Le Président Draghi reste parfaitement dans le cadre de son mandat. Il a – à maintes reprises – répété qu’il ne peut transgresser le mandat fixé par le Traité dans les interventions de la BCE. Ce sont, au contraire, certains Etats qui l’y ont encouragé cherchant une échappatoire facile à leur propre prise de responsabilités. Depuis l’instauration du SMP (achat de titres obligataires souverains) et des deux opérations LTRO (prêts à trois ans aux banques), la BCE a fait preuve d’une flexibilité impressionnante dans l’interprétation de son mandat qui a plusieurs fois sauvé le marché financier de l’implosion. Refuser d’aller au-delà, sans que les politiques ne mouillent leur chemise, paraît à la fois sain et responsable. Prêter directement aux Etats ou toute autre forme d’intervention non conventionnelle doit faire l’objet d’un consensus politique et d’une réforme formelle du mandat de la BCE.
Pouvons-nous parler d'un axe Draghi-Merkel en Europe ?
Mathieu Mucherie : Oui, c'est l'axe du Mal, ou l'axe des occasions perdues. Insister sur les réformes de l'offre productive en pleine crise de la demande agrégée, c'est très malin. Parler de pays vertueux versus de pays coupables (là où la bulle immobilière des uns a été financée avec les banques des autres, là où les structures de défaisance allemandes ne sont pas intégrées dans les comptes publics, là où une dévaluation aurait évité bien des problèmes dans les PIGS...), c'est très malin. Dans les deux cas, c'est le discours de la banque du Japon des années 1990 ou le discours de la FED jusqu'en 1933 : liquidation, morale, long terme, la balle est dans le camp des gouvernements. Ce n'est pas un discours économique. Mais il est vrai que Draghi n'a pas le choix car il doit faire oublier le laxisme pré-2007 (que faisait JC Trichet quand l'agrégat monétaire M3 progressait de 10%/an ?).
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