Un hémicycle de onze députés réunis en session extraordinaire a voté le fichage biométrique généralisé des « honnêtes gens », c’est à dire des personnes — vous ou moi sans doute — qui n’apparaissent dans aucun fichier judiciaire, qui n’ont jamais été condamnés, qui sont « inconnus des services de police ».
Le but affiché de ce dispositif est de lutter contre l’usurpation d’identité. La société de contrôle, dont Gilles Deleuze avait prédit l’inévitable avènement, facilité par les technologies de la communication et de l’automatisation, permet à un état toujours plus paranoïaque de persister à se méfier de ceux-là mêmes qu’il est censé représenter. C’est un état qui n’a pas la conscience tranquille, et ça se comprend : quand le sort policier de quarante-cinq millions de personnes (les français majeurs, quoi) est décidé en catimini, en plein mois de juillet, par six députés (il y a eu, si six « oui », quatre « non » et une abstention, si l’on se fie à ce que prévoyait le député Lionel Tardy juste avant le vote), on ne peut plus du tout parle de démocratie, ou bien ce mot n’a pas de sens. Et c’est sans doute cette fourberie, cette absence de transparence qui est l’évènement qui mérite d’être retenu, car pour ce qui est du fichage lui-même, on doit bien constater que l’histoire de France est aussi l’histoire d’un état qui a une longue tradition de fichage policier anthropométrique. Du reste, notre actuel président semble être obsédé par le sujet, il suffit de considérer la multiplication et l’extension des fichiers et des moyens de surveillance qui caractérisent son travail depuis ses débuts en tant que ministre de l’intérieur.
Voir également : Sarkozy a créé 44 fichiers policiers
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Ce qui m’inquiète et me chagrine vraiment dans cette affaire, en revanche, c’est la réaction médiatique : toute la journée d’hier on a vu Claude Guéant et des sociologues ou des syndicalistes de la police défiler devant les caméras pour discuter de la pertinence d’un rapport accablant que la cour des comptes a consacré à la gestion des ressources de la police. On a aussi beaucoup entendu parler du futur pontage coronarien dont va bénéficier Claude Guéant (« Il a donc un cœur », a écrit quelqu’un sur Twitter). Je n’ai regardé que les chaînes d’information mais je constate qu’aucune n’a annoncé la séance parlementaire d’hier, ni la teneur de la loi qu’était précisément en train de défendre Claude Guéant et qui allait être votée par un minuscule comité de onze personnes, décidant pour quarante-cinq millions.
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