L’étiquetage frauduleux des produits de la mer va bon train dans les supermarchés et les restaurants. Bien souvent, le client se voit servir du poisson bon marché en lieu et place de filets coûteux, et il retrouve dans son assiette des espèces menacées par la surpêche qu’on lui présente comme du poisson aux stocks pléthoriques.
La perche du Nil est étiquetée comme du requin. Le mahi-mahi [ou dorade coryphène] est en fait de la sériole. Quant au tilapia, véritable Meryl Streep des poissons, il peut jouer presque n’importe quel rôle.
Des pratiques qui sont mises en évidence par de récentes études menées aux Etats-Unis et en Europe. Ces études font appel aux nouvelles techniques de séquençage de l’ADN. Il en ressort qu’entre 20 et 25 % des produits de la mer ainsi étudiés sont étiquetés frauduleusement.
Des écologistes, des scientifiques et des gourmets se plaignent que les autorités chargées de la réglementation tardent à adopter les derniers outils scientifiques, alors même qu’ils sont déjà accessibles et faciles d’utilisation. L’ONG Oceana vient de publier un rapport intitulé “Comment l’étiquetage frauduleux des produits de la mer nuit à nos océans, à nos portefeuilles et à notre santé”. Avec des taux de fraude qui atteignent jusqu’à 70 % pour certaines espèces, conclut ce document, les Etats-Unis doivent “accroître la fréquence et le rayon d’action” de leurs inspections.
Traditionnellement, il a toujours été difficile de réglementer le secteur des produits de la mer, car même les mareyeurs les plus expérimentés ont bien du mal à distinguer certaines tranches ou filets, en l’absence d’écailles ou de nageoires. Et de nombreux produits arrivent dans les supermarchés congelés et recouverts de sauce.
Les anciennes méthodes d’identification des poissons en laboratoire examinaient le profil protéinique des échantillons, mais il s’agissait de techniques très lourdes, peu fiables et chères. Les chercheurs préféraient rechercher les noms de poissons incohérents dans la paperasserie au fur et à mesure des passages en douane. Avec les nouvelles techniques génétiques, la séquence ADN trouvée dans l’échantillon de poisson est comparée à une bibliothèque de références électroniques, comme celle créée par l’International Barcode of Life Project (IBL, Projet international sur le code-barres de la vie), qui répertorie aujourd’hui 8 000 variétés de poissons. Les tests sont relativement bon marché : des laboratoires commerciaux facturent environ 2 000 dollars l’analyse de 100 échantillons de poisson, soit environ 20 dollars l’échantillon, un coût qui descend à moins de 1 dollar pour les laboratoires qui possèdent le matériel. Ces nouvelles méthodes permettraient de tester chaque année des centaines de milliers d’échantillons, alors qu’à l’heure actuelle on doit se limiter à quelques centaines.
Pour l’essentiel, ces recherches ont été effectuées par des ichtyobiologistes et des généticiens, et non par des institutions. Dana Miller, une doctorante, a travaillé avec le Dr Mariani, chercheur en océanographie à l’University College de Dublin. Elle a étudié avec lui l’étiquetage frauduleux de la morue, poisson le plus consommé en Irlande. “Nous ne nous attendions pas à en trouver une telle proportion, étant donné l’importance des contrôles, de la législation, etc.”,reconnaît-elle. Mais 25 % des échantillons de cabillaud et de haddock, et plus de 80 % des produits fumés, étaient en fait d’autres espèces. “Si l’on ne peut même pas se fier au nom du produit, comment se fier à d’autres éléments, notamment la date ?” s’indigne-t-elle.
Le séquençage de l’ADN devient de plus en plus accessible. Aujourd’hui, des échantillons de poisson sont envoyés au laboratoire pour y subir des tests, mais, à en croire certains scientifiques, il existera d’ici cinq ans des systèmes de séquençage à la portée de tous, et dans dix ans certains inspecteurs seront munis de détecteurs portatifs.
Source via "Au bout de la route"
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