Relégué en fond de court dans cette cohabitation Canada Dry, le chef de l’État renonce, non sans amertume, au costume de Jupiter.
Le chef de l'État, de l'aveu de certains de ses proches, traverserait une petite phase de « décompression » post-dissolution ratée et échec de son camp aux élections législatives anticipées. Lesquelles l'ont contraint à nouer une alliance Frankenstein avec la droite, alors même qu'il n'était plus en position de force, pour constituer le gouvernement le plus précaire de la Ve République, dont la durée de vie sera potentiellement plus courte que les 75 jours qu'il a fallu pour le mettre sur pied !
On pouvait péniblement imaginer pire résultat. « Vous imaginez ce que c'est pour lui, défend un fidèle, d'être assis à la table du Conseil des ministres à côté de Bruno Retailleau, le nouveau ministre de l'Intérieur, qui le regarde depuis sept ans comme un accident de l'histoire ? »
Une période de « dépressurisation »
Pire encore, ce président, qui avait l'habitude de tout régenter jusqu'au moindre détail, voit le pouvoir lui échapper et les décisions se prendre à Matignon, alors que tout remontait jusqu'alors à Alexis Kohler, le puissant secrétaire général du palais. Exit le fauteuil réservé au conseiller élyséen dans les réunions interministérielles, les fameuses « RIM ». Adieu les conseillers partagés entre les deux rives de la Seine.
Pour qualifier cet attelage baroque, l'Élysée a forgé le barbarisme institutionnel de « coexistence exigeante ». On serait plutôt tenté de parler de cohabitation Canada Dry. « Vous vous rendez compte, dit un autre proche, ce que c'est pour cet homme qui lisait des notes jusqu'à 3 heures du matin de découvrir que tout est fini ? La cohabitation, c'est bien pour un président qui travaille à mi-temps, comme Mitterrand qui arpentait les quais de Seine. Mais pour quelqu'un qui bosse comme Macron, ça va être le grand vide… »
Hué en marge de sa visite au Canada, jeudi 26 septembre, par des manifestants propalestiniens, le président a eu ces mots qui fleuraient bon l'accusation d'ingratitude, face aux caméras de BFMTV : « S'ils savaient comme on se bat pour que ça aille mieux ! On ne peut pas ne pas ressentir une forme d'injustice quand on se sent pris à partie. » Et d'ajouter, sibyllin : « On le voit partout, en France c'est aussi très vrai. »
Peu après, devant la communauté française de Montréal, il se faisait plus explicite, confiant à la petite assemblée d'expatriés son bonheur de prendre l'air loin de l'Hexagone : « Nos amis allemands ont un proverbe qui dit : “Heureux comme Dieu en France.” Je me disais en étant avec vous depuis hier : “Heureux comme un Français au Canada.” »
Déjà, on s'en souvient, Emmanuel Macron avait traversé une période de « dépressurisation » – dixit ses proches – après que les Français l'ont privé de majorité dans la foulée de sa réélection. Et que dire des européennes de juin, qui l'ont convaincu d'appuyer sur le bouton nucléaire de la dissolution ? « Ça fait sept ans que je travaille comme un fou pour que le pays aille mieux et qu'il avance. Je l'ai pris pour moi », confessait-il peu après.
« Barnier n'a rien lâché »
Et cette petite « décompression », le président a le plus grand mal à la dissimuler. Ainsi laisse-t-il filtrer, ces derniers jours, sa déception face caméra, donc, et dans des SMS rageurs, faisant savoir qu'il n'a pas choisi les ministres, pas même ceux de son camp, et que Michel Barnier lui a tordu le bras en menaçant de le planter là. Lors des douloureuses manœuvres pour faire accoucher le gouvernement, le président aurait surtout, de fait, posé ses lignes rouges et fait savoir qu'il n'était pas envisageable que les Républicains cumulent l'Intérieur, Bercy et l'Éducation nationale.
Mais le choix des personnalités a relevé du Premier ministre et des chefs de groupe à l'Assemblée, pour la première fois depuis 2017. « Il n'a rien imposé sur les noms. On a beaucoup glosé sur la liste qui changeait, mais c'était toujours la même. Barnier n'a rien lâché », certifie un proche. L'hyperprésident se retrouve donc à devoir prendre du champ, contraint et forcé, face à un Premier ministre qui n'entend pas céder de terrain. Comme Emmanuel Macron le dit en privé, selon un récent interlocuteur : « Qu'ils se démerdent entre eux ! »
Signe révélateur, le premier Conseil des ministres au palais présidentiel a été expédié en vingt-cinq minutes seulement… Ajoutez à cela une impopularité record avec 75 % de Français mécontents de son action, selon une enquête Odoxa-Mascaret, et vous avez tous les ingrédients d'un grand blues présidentiel.
« Il n'était pas bien dans cette séquence, il a perdu de sa superbe », témoigne un spectateur des tractations. Si bien qu'un parlementaire allié l'imagine déjà donnant chaque jour des leçons au gouvernement : « Il va dire à tout le monde au Château : “Envoyez de l'huile sur la route pour que ça verglace demain !” »
La question de son départ
Le locataire de l'Élysée a pourtant un formidable coup à jouer avec l'opinion. Libre à lui désormais de se placer au-dessus de la mêlée, de jouer au père de la nation, de distribuer bons et mauvais points s'il considérait que certains ministres allaient trop loin sur ses valeurs, par exemple sur l'aide médicale d'État, ou si le gouvernement cédait trop ouvertement au chantage exercé par le Rassemblement national.
Comme le lui avait soufflé un conseiller avant la dissolution : « Rien de tel qu'une cohabitation pour redresser votre cote de popularité ! » Plus facile à dire qu'à faire, toutefois. Car Emmanuel Macron, qui peut se vanter d'avoir battu deux fois Marine Le Pen, a bien compris que c'est elle, désormais, qui tient en partie son destin entre ses mains, dans un improbable retournement.
Le jour où le RN fera chuter le gouvernement, puis un deuxième, puis un troisième, etc., la crise sera telle que la question de son départ sera inéluctablement posée au sein de la classe politique. Le tabou est à ce point levé qu'Édouard Philippe lui-même évoquait dans les colonnes du Point, début septembre, une hypothétique présidentielle anticipée.
Et rares sont ceux, à droite notamment, qui accordent du crédit à l'idée qu'Emmanuel Macron prendra le risque d'une nouvelle dissolution de l'Assemblée nationale lorsqu'il en aura de nouveau la possibilité, début juin 2025. Dans chaque camp, les aspirants à sa succession se préparent donc à toute hypothèse, conscients que la crise de régime couve à bas bruit. Un stratège des Républicains le dit, crûment : « Il est cuit. »
“Honte à vous, honte à vous”
— Claude El Khal (@claudeelkhal) September 27, 2024
Macron pris à partie au Canada, accusé de complaisance envers les crimes israéliens à Gaza et au Liban.pic.twitter.com/eziOSWm4EU
Macron s’est fait huer, lors de son déplacement au Canada: "Macron démission".
— 🍓Sined Warrior🐭🍓 (@SinedWarrior) September 27, 2024
Il pensait pouvoir se planquer à Montréal, mais des français étaient présents, pour lui montrer leurs mécontentement. Il a été hué, sifflé et ont scandé "Macron démission". @Froehlich__ pic.twitter.com/gYCaRbBvfJ
“F*CK MACRON. Sa démocratie est une illusion ! Et F*CK les médias sous ses ordres” pic.twitter.com/VpHvkaNrbO
— ARENA (@MMArena_) September 28, 2024
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