L’octroi de la Légion d’honneur au procureur de la République de Lyon, Nicolas Jacquet, qui vient de classer sans suite une enquête préliminaire consacrée au financement de la campagne électorale d’Emmanuel Macron, n’a pas manqué de faire naître quelques soupçons.
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Fâcheux timing… Le 13 janvier dernier, soit douze jours après avoir été élevé au grade de chevalier dans l'ordre de la Légion d’honneur par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, le procureur de la République de Lyon, Nicolas Jacquet, a pris la décision de classer sans suite l’enquête préliminaire sur le financement de la campagne d’Emmanuel Macron. De quoi alimenter les fantasmes d’une justice aux ordres du pouvoir. Sur les réseaux sociaux, des opposants au président de la République n’ont pas manqué de s’engouffrer dans la brèche.
À l’image de l’ex-Insoumis Andréa Kotarac, candidat du Rassemblement national à la métropole de Lyon, qui s’est indigné de cette récompense, via son compte Twitter : “Le procureur de la République de Lyon, Nicolas Jacquet, classe sans suite l’affaire du financement lyonnais de la campagne de Macron seulement 19 jours après avoir été fait chevalier de la Légion d’honneur. Ils ne font même plus semblant…”
De l’autre côté de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon (LFI) a également partagé ses doutes sur l’indépendance de la justice aux plus de 2 millions de followers qui suivent son compte. Le leader des Insoumis, qui dénonce fréquemment le manque d’indépendance de la justice française, a fustigé le “rare sens de l’à-propos” de “la Macronie” en matière de décoration, faisant référence à la polémique suscitée par la distinction du patron de Blackrock, en plein débat sur la réforme des retraites.
De l’autre côté de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon (LFI) a également partagé ses doutes sur l’indépendance de la justice aux plus de 2 millions de followers qui suivent son compte. Le leader des Insoumis, qui dénonce fréquemment le manque d’indépendance de la justice française, a fustigé le “rare sens de l’à-propos” de “la Macronie” en matière de décoration, faisant référence à la polémique suscitée par la distinction du patron de Blackrock, en plein débat sur la réforme des retraites.
Forcément, l’effet de ces accusations est dévastateur, alors même qu’aucune preuve ne permet d’étayer l’existence d’un lien entre la décision du procureur de la République de Lyon, et la distinction qu’il avait reçue, deux semaines plus tôt. D’ailleurs, il faut rappeler que les investigations de la justice lyonnaise sur le financement de la campagne d’Emmanuel Macron ont été initiées pendant l’été 2018, c’est-à-dire bien avant la nomination de Nicolas Jacquet à la tête de parquet de Lyon, intervenue en février 2019. Ce n'est qu'à compter de cette date que le nouveau procureur a hérité de ce dossier sensible, auparavant entre les mains de son prédécesseur, Marc Cimamonti.
“L’enquête est arrivée à son terme fin décembre 2019, la décision de classement sans suite est intervenue le 13 janvier. Le timing judiciaire n’a rien à voir avec sa distinction”, assure à Capital un membre de l'entourage de Nicolas Jacquet, qui dément l’existence d’un quelconque rapport entre les deux évènements. “Ce dossier a fait l’objet d’investigations poussées du parquet de Lyon. Le classement sans suite de l’enquête préliminaire est solidement étayé par un argumentaire de sept pages”, ajoute notre interlocuteur.
Selon la même source, la Légion d’honneur de Nicolas Jacquet — qui avait déjà reçu la médaille du Mérite, en 2005 — n’a rien de surprenant : “La plupart des procureurs de son rang sont décorés. À vrai dire, j’étais scotché que cette nomination intervienne si tardivement, alors que son nom a été proposé à de nombreuses reprises depuis 2014”. À 55 ans, Nicolas Jacquet dispose déjà d’une solide expérience, affûtée au cours de 30 années de service dans la magistrature. Outre diverses affectations dans les tribunaux, son CV recèle un poste de chargé de communication au parquet de Paris, et des fonctions de “conseiller justice” auprès de l’ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, dont l’estime pour Emmanuel Macron a d’ailleurs été rappelée par certains internautes. À partir de 2004, Nicolas Jacquet a dirigé successivement les parquets de Bergerac, Angoulême, Poitiers, Rennes et enfin Lyon, depuis février dernier.
Je conçois que le timing interroge
Un pedigree sans tâche qui pourrait suffire à le prémunir contre les accusations de complaisance à l'égard de l'exécutif. Et pourtant... Interrogé, l’entourage de Nicole Belloubet balaie logiquement les doutes, en invoquant le principe de la séparation des pouvoirs : “La garde des Sceaux ne donne pas d’instructions individuelles aux magistrats”. Pour les syndicats, la théorie du complot semble peu crédible... Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale de la magistrature (USM) ne trouve rien à redire sur la décoration de Nicolas Jacquet. “Je n’ai pas de commentaire particulier à faire”, répond-elle à Capital.
Même Katia Dubreuil la présidente du syndicat de la magistrature, classé à gauche et volontiers critique à l'égard du pouvoir, a du mal à croire aux soupçons des contempteurs d’Emmanuel Macron. “Cependant, je conçois très bien que le timing interroge”, nuance-t-elle. Selon l’ex-juge d’instruction du tribunal de Bobigny, la remise de médailles aux membres de la magistrature ne devrait, de toute façon, même pas exister. “L’obtention par les magistrats de décorations produit en-elle même un soupçon de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif qui en décide de façon discrétionnaire”, explique-t-elle, en appelant de ses voeux une réforme statutaire visant à interdire cette pratique.
L'amendement qui avait failli priver les magistrats de décorations
En 2011, l’ancien député PS René Dosière avait porté un amendement en ce sens, dans le cadre de l’examen d’un projet de loi organique sur la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire. Pour renforcer leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif, il proposait d’instaurer “l’interdiction de recevoir certaines décorations — la légion d’honneur et l’ordre national du mérite — au titre [de leurs fonctions] et durant leur vie professionnelle”. Adopté à la quasi-unanimité lors de son examen en commission des lois, cet amendement avait fini par être rejeté par l’Assemblée nationale.
Neuf ans plus tard, la situation n’a pas évolué, malgré la promesse d’Emmanuel Macron de revoir les critères d’attribution de la Légion d’honneur, au début de son quinquennat. Outre le procureur de la République de Lyon, les noms d’une petite dizaine d’autres magistrats — en poste ou “honoraires” — s’affichent dans la liste des personnalités décorées, au sein de la promotion civile du 1er janvier 2020.
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