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A noter qu'à ce jour les médias français s'intéressent très peu à l'affaire Epstein qui a pourtant des ramifications internationales impliquant spécifiquement la France.
Les français
L’ancien patron de l’agence de mannequins Karin Models a été un rouage français essentiel du système mis en place par Epstein. Il est lui-même accusé par plusieurs femmes de crimes sexuels, alors qu’elles étaient mineures.
Impossible à localiser ou à joindre depuis plusieurs semaines, sans adresse connue ni présence active sur les réseaux sociaux, Jean-Luc Brunel, un maillon essentiel de l’affaire Epstein, est aujourd’hui un fantôme. Le septuagénaire français est accusé aux Etats-Unis, notamment par Virginia Roberts Giuffre, de viols sur des jeunes filles. Plusieurs documents aux mains de la justice américaine attestent de sa proximité avec le magnat américain et de son implication dans un réseau de trafic sexuel de mineures. Mais Jean-Luc Brunel n’a pas toujours vécu planqué. Loin de là. Il évolue dans le milieu du mannequinat depuis quatre décennies, basé d’abord à Paris puis à Miami. Les multiples témoignages recueillis ces dernières semaines par Libération dressent le portrait d’un homme ambitieux, spécialisé dans le recrutement de très jeunes mannequins, avec qui il se plaisait à faire la fête dans son appartement ou dans les boîtes de nuit parisiennes. Certaines de ces jeunes filles, parfois mineures, lui reprochent d’avoir torpillé leur carrière pour avoir refusé ses avances. D’autres l’accusent de viol, bien avant les crimes qu’il est suspecté d’avoir commis avec Jeffrey Epstein dans les années 2000.
Etrange ballet
La Néo-Zélandaise Zoë Brock a 17 ans lorsqu’elle débarque à Paris en 1991. «J’avais commencé à faire des photos de mode en Australie à l’âge de 14 ans. Paris était une progression naturelle pour ma carrière», dit-elle à Libération. Pour rassurer sa mère, son agence française, Karin Models, lui propose de la loger «dans l’endroit le plus sûr de Paris : l’appartement du directeur». Qui n’est autre que Jean-Luc Brunel, à la tête de l’agence fondée en 1978. «Quand je suis arrivée, il était en déplacement, il n’a pas été là pendant quelques semaines», se souvient Zoë Brock. L’appartement, situé avenue Hoche, n’est pas vide pour autant et la jeune fille participe à un étrange ballet : des amis de Brunel, plus âgés, vont et viennent, emmènent dîner et sortir les mannequins logées sur place.
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«Dès le soir où Jean-Luc est rentré, il m’a fait venir dans sa chambre et m’a dit d’emblée : "tu sais Zoë, un jour il va falloir qu’on couche ensemble." Puis il a sorti un plateau de cocaïne», raconte-t-elle. «Stupéfaite», «terrifiée», l’adolescente choisit de prendre la drogue, «le moindre des deux maux qui s’offraient à moi». Elle dit être restée environ une semaine dans l’appartement : «Je faisais tout pour l’éviter. Lorsqu’il a compris que je ne céderai pas à ses avances, on m’a fait déménager dans un logement exigu à Pigalle, avec cinq autres mannequins. Clairement, on me punissait. J’y ai vécu quelques semaines mais je n’avais pas de travail. Au bout de quelques mois, je suis rentrée en Australie.» De retour en Europe quelques années plus tard, Zoë Brock apprendra que Jean-Luc Brunel a fait courir dans le milieu la rumeur qu’elle était toxicomane.
La mannequin Thysia Huisman, elle, dit ne pas être parvenue à échapper au directeur de l’agence. Repérée par Brunel à Bruxelles, où elle a débuté sa carrière de mannequin, cette jeune Néerlandaise accepte de venir à Paris, où elle emménage en septembre 1991, la même année que Zoë Brock. Elle vient d’avoir 18 ans. «Dès ma première rencontre avec lui, j’ai eu une mauvaise intuition. Il était trop dragueur, trop insistant. Mais c’était une incroyable opportunité et, naïvement, j’ai cru pouvoir me protéger», confie-t-elle à Libération.
Logée elle aussi dans l’appartement de Jean-Luc Brunel, elle refuse sa proposition de dormir dans sa chambre et ses avances répétées : «Tous les jours, il me disait que j’étais belle, qu’il m’aimait et qu’on finirait par coucher ensemble.» Elle continue parfois de sortir avec d’autres filles, Brunel et ses amis, tout en restant vigilante : «Je savais que je ne pouvais pas être saoule, je devais rester concentrée.» Un soir pourtant, au retour d’un dîner, tout bascule : «Jean-Luc m’a tendu un verre. Je l’ai bu et rapidement les choses sont devenues floues, j’ai senti des vertiges.» La mannequin pense alors avoir été droguée. «Je me souviens qu’il m’a emmenée dans sa chambre et poussée sur son lit. Je me rappelle qu’il était sur moi, que j’ai essayé de le repousser et du bruit quand il a déchiré mes vêtements. Ensuite, c’est le trou noir. Je me suis réveillée dans son lit. J’étais totalement désorientée. Je suis allée récupérer mes affaires dans la chambre où je dormais et je suis partie directement à la gare pour quitter Paris», se souvient-elle. Rongée par un sentiment de honte, Thysia Huisman ne racontera ces faits qu’en 2011 à son compagnon.
Impact
La Néerlandaise, âgée aujourd’hui de 45 ans, n’est pas la première à l’accuser de viol. Dans Model, un livre publié en 1995, le journaliste et écrivain américain Michael Gross avait relayé de sérieuses accusations contre Jean-Luc Brunel, portées notamment par Jérôme Bonnouvrier, ex-fondateur de l’agence DNA Models, décédé en 2017 : «Jean-Luc est considéré comme un danger. Il aime les drogues et le viol silencieux. Ça l’excite.»
Plus tôt encore, en 1989, un reportage de l’émission 60 Minutes, diffusé sur la chaîne américaine CBS, avait également mis en cause le patron de Karin Models. Sous couvert d’anonymat, deux autres jeunes mannequins américaines accusaient Jean-Luc Brunel de les avoir droguées et violées. «L’enquête avait eu un impact énorme dans le milieu», se souvient sa réalisatrice française, Anne de Boismilon. La célèbre Eileen Ford, directrice de l’agence Ford, à l’époque très proche de Jean-Luc Brunel, avait rompu tout lien professionnel avec lui. «Elle avait décidé de mener sa propre enquête interne après la diffusion du documentaire», explique à Libération Iris Minier, ancienne employée de Ford. «Elle est tombée de très haut. Jean-Luc Brunel a toujours été poli et bien élevé devant Eileen. Quand elle se rendait à Paris, il l’accueillait toujours avec un bouquet de fleurs et donnait l’image du petit Français parfait.»
«Il avait une personnalité charmante, avec beaucoup d’humour, ça plaisait aux gens qui travaillaient avec lui», se souvient Gaby Wagner, ancienne mannequin et amie de Helen Hogberg, ex-femme de Brunel. «Mais il avait aussi ce côté vulgaire, crapuleux. Il se tournait toujours vers les filles les plus fragiles, souvent des débutantes et mineures, pour commettre ses abus. Les jeunes femmes de 20 ans ne l’intéressaient pas, elles étaient déjà trop vieilles pour lui», ajoute Gaby Wagner.
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Jean-Luc Brunel s’installe aux Etats-Unis et quitte Karin Models au début des années 2000. La société est reprise par son ancienne associée Ruth Malka. «Je ne travaille plus avec Jean-Luc depuis des années, je suis choquée de tout ce que j’entends, tout ça me dégoûte, mais je n’ai été témoin de rien à l’époque», assure Ruth Malka à Libération. Selon elle, Jean-Luc Brunel vient encore fréquemment en France, où vit sa famille, et entretient toujours des relations professionnelles avec le milieu parisien du mannequinat. «Des amis m’ont dit qu’ils l’avaient croisé cette année.» Contacté à de nombreuses reprises, ainsi que son avocat américain, Jean-Luc Brunel n’a pas donné suite.
Thysia Huisman, qui a aussi témoigné dans Mediapart,espère que la libération de la parole suivra : «Il est invraisemblable que Jean-Luc ait fait une si longue carrière dans la mode en dépit de tous les scandales dans lesquels il a été impliqué.»
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