Est-ce sa manière bien à lui de montrer comment un retraité peut arrondir ses fins de mois ? Jusqu'à ce mardi 10 décembre, le Haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye, âgé de 72 ans, percevait, en plus de son traitement de l'Etat, quelque 5.368,38 euros net par mois en tant que président du "think thank" (groupe de réflexion) Parallaxe. Une fonction dont Jean-Paul Delevoye a donc démissionné, s'engageant à rembourser les sommes perçues si la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique les jugeaient "incompatibles" avec sa place au gouvernement, acquise en septembre dernier.
Le think tank Parallaxe est une émanation du groupe d’enseignement privé IGS. Créé en 2017, Parallaxe s’est donné pour mission de remédier à "l’insatisfaction des étudiants concernant le système éducatif actuel", comme le relate Capital. En tant que président d'honneur, le Haut-commissaire aux retraites percevait un montant annuel de 64.420 euros net, selon sa déclaration d’intérêts mise en ligne sur le site de la HATVP.
Rappelons que la loi fondamentale française interdit aux ministres d'avoir un emploi en parallèle : "Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle", prévoit l'article 23 de la Constitution.
Des liens avec le monde de l'assurance
Mardi, devant l'Assemblée nationale, Jean-Paul Delevoye s'est brièvement défendu : "A ce jour, compte tenu des suspicions que certains n'ont cessé d'alimenter, j'ai mis un terme à toutes mes activités et je suis au clair par rapport à cela", a-t-il déclaré sans plus de détail, assurant toutefois que "tout [s]on parcours prouv[ait] [s]on souci de transparence et de respect des lois".
Les "suspicions" en question reposent notamment sur les informations dévoilées lundi par Le Parisien, qui révélait lundi que le grand manitou de la réforme des retraites avait oublié de déclarer à la HATVP ses liens avec le milieu des assurances, directement intéressé par la réforme, en tant qu'administrateur - bénévole - de l'Institut de formation de la profession de l'assurance (Ifpass) depuis 2016. Or, la HATPV précise bien l'obligation pour les déclarants de mentionner les fonctions "susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts". Une "omission par oubli", avait réagi l'ancien ministre de Jacques Chirac auprès de nos confrères. On remarque par ailleurs que le président de l'Ifpass n'est autre que... Roger Serre, le fondateur et délégué général du groupe IGS. Le monde est petit.
Dans un communiqué transmis à l'AFP, Jean-Paul Delevoye avait précisé avoir été "nommé administrateur de l'Ifpass (...) par le conseil d'administration de l'IGS" et n'avoir assisté "qu'à trois conseils d'administration" depuis sa nomination comme Haut-commissaire à la réforme des retraites en octobre 2017, la dernière fois "en décembre 2018".
Mardi, l’association anticorruption Anticor a demandé à la HATVP d’effectuer un signalement au parquet concernant le Haut-commissaire, pour manquement à son obligation de déclaration. "Monsieur Delevoye avait pourtant certifié sur l’honneur l’exactitude des renseignements indiqués dans sa déclaration", souligne Anticor dans son courrier adressé à Jean-Louis Nadal, président de la HATVP.
Jean-Paul Delevoye
a “oublié” de déclarer
un deuxième poste,
à la Fondation SNCF
INFO CAPITAL : Le haut-commissaire aux retraites siège depuis 2016 au conseil d’administration de la Fondation SNCF, qui pilote les opérations de mécénat du groupe ferroviaire, particulièrement concerné par la réforme en cours.
Au coeur du mouvement social, c’est un nouveau manquement qui fait tâche pour le haut-commissaire en charge de la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye. Depuis le début de l’année 2016, il siège au sein du conseil d’administration de la Fondation SNCF, chargée d’orchestrer les actions de mécénat du géant français des transports. Une fonction, qui, au même titre que son rôle d’administrateur de l’institut de formation des assureurs IFPASS, ne figure pas sur la déclaration d’intérêts et d’activités qu’il a déposée à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le 15 novembre dernier.
Et pourtant, la case n°6 de la déclaration des responsables publics prévoit explicitement la mention “des participations aux organes dirigeants d’un organisme public ou privé ou d’une société à la date de l’élection ou de la nomination et au cours des cinq années précédant la date de la déclaration”. Pour Jean-Christophe Picard, président d’Anticor, “cette nouvelle omission conforte l’initiative d’Anticor, qui a demandé à la HATVP de saisir le parquet, car ces invraisemblables manquements aux obligations de déclaration doivent être sanctionnés !” À l’heure où nous écrivons ces lignes, le procureur de Paris a déjà demandé des précisions à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique sur le défaut de déclaration d'activité de Jean-Paul Delevoye, accusé de conflit d'intérêts avec le milieu des assurances, suite aux révélations du Parisien.
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Une présence épisodique et bénévole
Selon nos informations, Jean-Paul Delevoye se rendait généralement à l'un des deux conseils d’administration annuels de la Fondation SNCF, dont le dernier a eu lieu au mois de juin. “Le conseil d’administration dure en moyenne 2 heures et demi. Jean-Paul Delevoye y siège de façon totalement bénévole, et nous apporte beaucoup par ses grandes compétences et sa générosité”, précise à Capital une source interne à la Fondation. Nommé administrateur pour quatre ans en 2016, alors qu’il n’était pas encore haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye s’apprête à achever son mandat au sein de la Fondation, en début d'année prochaine.
Contraint de renoncer successivement à ses fonctions d’administrateur de l’IFPASS et de président d’honneur du think tank Parallaxe (groupe IGS) suite aux révélations du Parisien et de Capital, Jean-Paul Delevoye n’a pas jugé bon de quitter cette troisième fonction parallèle à son activité de ministre. Omission volontaire ou non ? Toujours est-il que ce choix risque de relancer la polémique sur l’impartialité du haut-commissaire et d’alimenter de nouveaux soupçons de conflits d’intérêts… d’autant que les salariés de la SNCF sont concernés au premier chef par la réforme des retraites.
Certes, la Fondation SNCF, qui finance diverses associations d’aide aux publics fragiles via le mécénat d’entreprise, n’a pas grand chose à voir avec le conflit social en cours. Mais les syndicats du groupe ferroviaire, qui luttent contre la réforme des retraites, ne manqueront pas de relever que Jean-Paul Delevoye siégeait aux côtés de Patrick Jeantet, président du directoire de la filiale Kéolis, au sein du conseil d’administration de la Fondation SNCF. “La réforme des retraites n’a jamais été évoquée lors des réunions. Jean-Paul Delevoye était vraiment là pour aider, et il n’avait aucun contact avec la direction de la SNCF par ailleurs”, plaide notre source interne, admirative de la fibre sociale du haut-commissaire. Modestie, générosité, écoute : des qualités humaines souvent reconnues dans les milieux que Jean-Paul Delevoye a fréquentés, tout au long de sa carrière politique.
Contacté, Jean-Paul Delevoye n’a pas donné suite à nos sollicitations.
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