Backpage.com est un site de petites annonces américain. Comme nombre de plateformes de ce genre, il comporte des sections « adulte » classées par ville (au hasard à Auburn, Alabama), et détiendrait même 70 % du marché national des petites annonces liées à la prostitution. Plus inquiétant, selon Nicholas D. Kristof, célèbre éditotialiste du New York Times, Backpage est le plus gros forum pour tout ce qui a trait à l’exploitation sexuelle de mineures aux Etats-Unis. Or, explique le double lauréat du prix Pulitzer dans une tribune intitulée « Financiers and Sex Trafficking« , un des propriétaires de Backpage n’est autre que… la banque d’affaires Goldman Sachs.
« Ce grand magazin pour filles et femmes – dont certaines sont mineures et contraintes à se prostituer – est la propriété d’une compagnie privée pour le moins opaque, Village Voice Media. Jusqu’à récemment, il était difficile de savoir qui en étaient les propriétaires. Ce mystère est désormais résolu », écrit-il : Goldman Sachs posséderait 16 % des actions de Village Voice Media, à côté d’autres investisseurs privés.
Les principaux propriétaires de Village Voice Media sont Jim Larkin et Michael Lacey, les deux managers de la société, « et ils semblent posséder la moitié des actions ». Parmi les autres propriétaires, le plus célèbre est Goldman Sachs, qui a investi dans la société en 2000 (avant que Backpage ne devienne la propriété de Village Voice Media en 2006). Un administrateur délégué de la banque, Scott L. Lebovitz, a même fait partie du conseil d’administration de Village Voice Media pendant plusieurs années, selon Nicholas D. Kristof. Il ne l’a quitté que début 2010, à en croire Goldman Sachs.
Faut-il fermer la section adulte de Backpage ?
Il ne fait aucun doute que la plupart des annonces de Blacpage sont le fait d’adultes majeurs et consentants. « Mais il est également clair que ce site joue un rôle majeur dans le trafic de femmes et de mineures. Au cours d’une affaire récemment jugée à New York, le procureur a expliqué qu’une fillette de 15 ans avait été droguée attachée, violée et vendue par le biais de Backpage et d’autres sites », précise Nicholas D. Kristof. (Pour le détail de l’affaire, voir le communiqué du procureur de la République).
Les activités sulfureuses de Backpage sont largement connues. Le 23 mars, dix-neuf sénateurs ont écrit une lettre à Village Voice Media pour lui demander de cesser de soutenir les responsables de la traite sexuelle. Récemment, des militants ont manifesté devant le journal Village Voice, propriété de Village Voice Media. Et une pétition signée par 220 000 personnes demande à la société de fermer la section « adulte » de Backpage.com. Goldman Sachs ne peut donc ignorer qu’il possède un site internet facilitant le commerce de femmes et de mineures.
« Soyons clair, écrit Nicholas D. Kristof : il s’agit d’un investissement minime réalisé par une énorme société, et je n’ai aucune raison de penser que les hauts responsables de Goldman soient personnellement au courant des liens entre cette entreprise et le trafic d’êtres humains ». Mais « il n’y a aucune indication qui montrerait que Goldman ni aucun autre propriétaire de Village Voice Media se soit servi de son pouvoir pour supprimer les annonces d’escort-girls ou vérifier les âges ».
« Le dilemme Backpage »
La polémique lancée par le New York Times fait du bruit aux Etats-Unis. Pas tant sur la responsabilité supposée de Goldman Sachs que sur l’opportunité de fermer la section « adulte » de Backpage. Dans un article intitulé « Le dilemme Backpage« , Salon.com donne la parole aux responsables de Village Voice Media et tempère la colère de Nicholas D. Kristof.
Selon la direction de Village Voice Media, Backpage a mis en place un système de filtres automatisés qui « exclut les annonces comportant des mots et des phrases suspectes« . A cela s’ajoute une relecture humaine de tous les contenus proposés dans les sections « adultes » et « personnelles » avant qu’ils soient postés, complétée par une deuxième lecture après publication. Et quand Backpage identifie une annonce pouvant concerner un mineur, elle prévient immédiatement le National Center for Missing and Exploited Children.
Au-delà du cas particulier de Backpage, Salon.com s’interroge sur la tension entre un internet libre et la nécessité de lutter contre le crime, entre « l’horreur » qu’on ressent face au trafic des mineurs, et la conviction « que les adultes devraient avoir le droit de faire ce qu’ils veulent sur le plan sexuel, même si cela implique une transaction financière ».
Faut-il fermer la section adulte de Backpage ? Rien n’est moins sûr, estime Salon.com. « Backpage est tout à la fois un ami et le pire ennmi des trafiquants d’êtres humains. C’est un canal de publicité idéal, mais c’est aussi l’un des meilleurs moyens, si ce n’est le meilleur, pour les autorités d’identifier les victimes de trafic ».
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