1...chute prévisible de la demande de crédit immobilier car les Français préfèrent les taux fixes
2....avec les taux variables, la banque va transférer le risque à l'emprunteur
3...la banque veut titriser les anciens prêts à taux fixes façon subprimes
Conclusion, quelque soit la réforme adoptée, c'est le client qui paiera la facture finale
Crédit immobilier: pourquoi les banques pourraient fermer le robinet
c'est une discussion encore feutrée. Le comité de Bâle travaille sur de nouvelles règles bancaires qui pourraient chambouler totalement le crédit immobilier en France. Attention, danger.
L’avenir de l’immobilier français est en train de se jouer à quelques dizaines de kilomètres de nos frontières, dans la bonne ville de Bâle, en Suisse. Là, un comité s‘apprête à forcer les banques françaises à se mettre à l’heure anglo-saxonne. Avec plusieurs conséquences désastreuses pour l’économie française, et notamment pour le secteur de l’immobilier. Car leur réglementation Bâle IV, qui devrait sortir en 2017 va conduire les banques françaises à proposer moins de crédit à l’économie, à forcer les acquéreurs immobiliers à souscrire des prêts à taux variable, alors qu’ils les détestent. Cela devrait aussi conduire les établissements à titriser leurs créances immobilières, avec une autre conséquence de poids : exclure les ménages les plus fragiles et donc les jeunes et les moins riches de l’accès au crédit…
Comment en est-on arrivés là ?
Le comité de Bâle est censé travailler pour la « bonne cause » : un monde plus sûr, avec un risque financier mieux contrôlé. Créé en 1974 par les banques centrales des dix principaux pays industrialisés, il est chargé d’édicter des règles comptables et prudentielles qui vont permettre de renforcer la solidité du système financier mondial. 27 pays en sont membres : l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Brésil, le Canada, la Chine, la France, l’Allemagne, Hong Kong SAR, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, la Corée, le Luxembourg, le Mexique, les Pays-Bas, la Russie, l’Arabie Saoudite, Singapour, l’Afrique du Sud, l’Espagne, la Suède, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni et les États- Unis. Depuis sa création, le comité a émis trois vagues de recommandations, appelées Bâle I, Bâle II et Bâle III. Ces réglementations ont ensuite été transposées dans les différents pays. Ou pas… Les Etats-Unis par exemple ont décidé de s’affranchir de la dernière réglementation bâloise, dite Bâle III, qui handicape aujourd’hui fortement les principales concurrentes de ses propres établissements financiers, les banques européennes…
Accélération des réformes
La crise des subprimes, en 2008, a accéléré le processus. Et la mise en place de Bâle III a complètement bouleversé le profil des banques européennes, qui ont dû, soit renforcer leurs fonds propres, soit diminuer leur exposition au risque (et donc leurs crédits à l’économie). Selon l’agence Reuters, l’an dernier, les plus grands groupes européens ont largement amélioré leurs « fonds propres durs » (c’est-à-dire le capital apporté par les actionnaires et les bénéfices mis en réserve), avec comme conséquence de rehausser le niveau des garanties qu’elles exigent des emprunteurs. Avec Bâle IV, elles devront aller encore plus loin, avec deux critères majeurs : « la prise en compte du risque de taux et la limitation à venir de la capacité des banques à utiliser leurs modèles internes pour abaisser leur consommation en capital» explique Alex Koagne, analyste chez Natixis. Autrement dit, l'interdiction faite aux banques d'appliquer leur propre barème pour les niveaux de risques encourus. Avec comme conséquence un tour de vis supplémentaire au crédit. Ainsi, note Jean-Marc Vilon, Directeur Général du principal organisme de caution des prêts immobiliers en France, Crédit Logement, le crédit hypothécaire (c’est-à-dire le crédit adossé à un actif immobilier) « actuellement pondéré à 35% pourrait passer à 55%, voire plus pour les investisseurs ». Cela signifie que les banques devront geler l’équivalent de 55% de la somme prêtée dans leurs capitaux propres. Des fonds qu’elles ne pourront plus alors utiliser pour autre chose.
Se débarrasser du risque
La solution existe : elle consiste à se débarrasser du risque et à le transférer vers l’emprunteur. Comment ? C’est simple. D’abord en vendant les créances (les dettes nées de l’octroi des prêts) à des investisseurs. On appelle cela la titrisation. Bien sur, les investisseurs vont être très regardants (surtout après l’expérience catastrophique précédente, et la crise des Subprimes) et vont demander une sélection drastique des dossiers et l’exclusion des risques les plus importants. Deuxième technique : proposer en priorité à ses clients des crédits à taux variables. Ainsi, le risque de taux passe de la banque à l’emprunteur. Problème : aujourd’hui, c’est une formule quasi-inconnue en France. Elle ne représentait que 0,6% des crédits signés l’an dernier. C’est dire si le changement sera brutal !
Panique dans le logement
Début mars, trois grandes fédérations professionnelles, la Fnaim (Fédération des agents immobiliers), la FFB (pour les constructeurs de maisons individuelles) et la FPI (pour les promoteurs), tiraient la sonnette d’alarme en s’adressant au gouvernement. Si la norme est adoptée, préviennent-elles, cela « pénaliserait le distribution de crédits immobiliers aux particuliers avec peu ou sans apport, et notamment les primo-accédants aux revenus modestes. » Quant aux opérations locatives sans apport, elles « seront également concernées. » Aujourd’hui, les banques accordent environ 2 millions de crédits immobiliers pour un montant qui a atteint l’an dernier 130 milliards d’euros, qui ont servi l’an dernier à financer les 1,2 à 1,3 million de transactions. Comme aujourd’hui, plus de quatre transactions immobilières sur cinq nécessitent de recourir au crédit, le moindre tour de vis peut avoir des conséquences énormes sur le marché immobilier en particulier et, plus généralement, sur l’économie française toute entière... Or, selon plusieurs spécialistes du secteur, si Bale IV est appliqué en l’état, « c’est environ un tiers des crédits immobiliers qui disparaitront. » Soit une quarantaine de milliards d’euros de moins injectés dans l’économie : 2% de PIB en moins !
Un modèle inadapté à la France
Ce durcissement apparait d’autant plus injuste qu’il est réalisé au nom de la lutte contre le risque de défaut. Or, les banques françaises n’ont pas été à l’origine de la crise des Subprimes, et n’ont pas financé de manière outrancière le secteur, comme en Grande-Bretagne, en Espagne et aux USA. En témoigne le taux de défaut des emprunteurs, le plus bas d’Europe, 0,7%, presque dix fois inférieur à celui constaté aux USA ! « Le marché français est juridiquement très encadré : la protection du consommateur est conséquente lors de l’octroi du prêt (règlementation de la publicité, règlementation des offres de prêts, définition d’un TEG plafonné, obligation de conseil de la banque). Ce modèle a ainsi permis de traverser deux crises économiques majeures sans casse sociale ni crise bancaire, ce qui n’a pas été le cas dans nombre des pays si souvent cités en exemple, comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Espagne. » explique Michel Mouillart, professeur à l’Université de Paris Ouest.
Tout n’est pas joué
La réglementation de Bâle IV a connu plusieurs versions. La première en 2014, a été retoquée par les Etats membres du comité. La seconde, en cours, devrait être adoptée en 2017. Il faudra ensuite qu’elle soit transposée par chaque Etat. Ce qui pourra prendre du temps : entre un et deux ans. Ce n’est donc pas avant 2018 que le système sera mis en place en France. Du moins si les organisations professionnelles, discrètement aidées par les banques françaises, ne parviennent pas à le torpiller d’ici là. « Encore faut-il que tous les acteurs, et notamment les citoyens et les emprunteurs, soient au courant de ces discussions très discrètes. » souligne le courtier en prêts immobiliers Solutis… Du côté des lecteurs de Challenges, au moins, c’est désormais chose faite !
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