A Marseille et dans sa région, la presse et le politique traversent une crise aiguë. Et l’orage gronde en ces temps d’élections. Le clientélisme continue de gangrener la démocratie locale, le FN se prépare à sabrer le champagne, l’UMP y recycle à grande échelle ses thèmes sécuritaires et xénophobes, et la presse régionale se meurt. Pourtant, des îlots de résistance ne se résignent pas. Le mensuel le Ravi, dédié à l’enquête et à l’irrévérence, en fait partie. Son rédacteur en chef, Michel Gairaud, appelle « à défendre une presse libre, nécessaire pour permettre un futur printemps démocratique ».
La bonne ou la mauvaise santé de la presse est un excellent indicateur du bon ou du mauvais fonctionnement de la vie démocratique. Et preuve est faite que la misère n’est pas plus belle au soleil ! En Provence et jusque sur la Côte d’Azur, dans la capitale régionale, Marseille, et sa future métropole, une profonde crise ébranle à la fois le paysage médiatique et politique.
Les urnes n’ont pas encore données leur verdict mais, une fois de plus, il s’annonce assez sombre. L’extrême droite a pris depuis longtemps ses aises en Paca. C’est la région où on trouve la seule députée FN dument estampillée, Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen, la benjamine de l’Assemblée nationale. C’est la région qui compte les deux uniques sénateurs FN de l’Hexagone, celle qui concentre le plus de maires FN, celle enfin qui a élu, dans le Vaucluse, l’unique conseiller général FN du pays.
Les élections départementales, ces 22 et 29 mars, pourraient même offrir au Front national deux départements. Le pire n’est jamais sûr mais les républicains risquent bien, abstention aidant, de finir minoritaires dans les isoloirs varois. Ils le sont déjà dans le Vaucluse où les divisions internes de l’extrême droite freinent sa progression. Le clan Bompard (député-maire « ligue du Sud » d’Orange) s’oppose en effet aux ambitions de Maréchal Le Pen. Provisoirement ?
Un paysage médiatique déprimant
Mais ce n’est pas tout ! Les Départementales devraient couronner les éternels Ubu Roi de la démocratie locale. Le plus caricatural de tous est Jean-Noël Guérini, le président sortant du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Multi-mis en examen, notamment pour « associations de malfaiteurs », il a fondé son micro-parti, « la force du 13 », après s’être exclu du PS, lequel lui oppose, mollement, des candidats. Mais maitrisant avec talent l’art du clientélisme, Guérini est toujours soutenu par un grand nombre de notables socialistes, ou estampillés PCF, membre de fait de sa majorité.
Le tableau ne serait pas complet sans évoquer les hérauts locaux de l’UMP. C’est en Paca que les Thierry Mariani, les Lionnel Luca, fondateurs de la « droite populaire », ont expérimenté à grande échelle le recyclage des thèmes sécuritaires et xénophobes conduisant au brouillage des frontières entre extrême droite et droite extrême. Eric Ciotti, dont le nom circule afin de conduire la liste UMP en décembre prochain pour les élections régionales, est un grand spécialiste des débats « identitaires » stigmatisant l’islam.
C’est dans ce contexte politique que le paysage médiatique local s’effrite à Marseille et dans sa région. Le journal La Provence est aux mains d’un actionnaire, Bernard Tapie, qui a toujours exprimé son immense mépris pour les journalistes. En attendant peut-être d’être rattrapé par la justice et contraint de restituer les 403 millions d’euros qu’il a perçus dans l’arbitrage avec le Crédit Lyonnais, l’affairiste s’est emparé de Corse Matin. C’est le prix qu’a du payer Nice Matin pour éviter la faillite. Bonne nouvelle : ses salariés ont repris en SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) le titre. Mauvaise nouvelle : ils ont du gager de l’immobilier avec Tapie qui leur a accordé un prêt et ils sont allés chercher pour diriger leur rédaction Robert Namias, ex-cadre dirigeant de TF1, orfèvre de la part de cerveau disponible.
Une presse indépendante qui a des crampes
La Marseillaise, le challenger de La Provence, a déposé le bilan et doit trouver un repreneur. Ses salariés espèrent que la ligne éditoriale du journal sera confortée et ses lecteurs se mobilisent pour éviter la disparition du titre. Quoi qu’il arrive, le coût social s’annonce très élevé. Lui aussi en cessation de paiement, Marsactu a été liquidé. Le « pure player » marseillais avait pourtant apporté une bouffée d’air éditoriale dans la capitale régionale. Ses journalistes travaillent à faire renaître « un média numérique indépendant à Marseille ».
Et puis même le mensuel qui ne baisse jamais les bras, comme le santon qui a inspiré son titre, a de sérieuses crampes. L’association la Tchatche, qui édite depuis onze ans le Ravi, a également été placée, fin novembre, en redressement judiciaire. Il nous a fallu prendre des mesures drastiques, réduire des effectifs déjà contraints, supprimer quelques pages, imprimer sur un papier un peu moins coûteux. Mais les journalistes qui animent le mensuel, les dessinateurs qui l’illustrent, les bénévoles qui administrent l’association, les lecteurs, désormais regroupés dans une association des « amis du Ravi », ont décidé de redresser les bras, convaincus que notre région a plus que jamais besoin d’une presse libre, dédiée à l’enquête et à l’irrévérence.
Défendre la presse pas pareille
Pour que le Ravi puisse survivre et se réinventer, tous ont lancé un « Couscous Bang Bang Royal » (voir ici : www.leravi.org). Le principe est simple : puisqu’on n’achète pas un journal libre mais qu’on le finance, le moyen le plus sûr de défendre ce mensuel pas pareil est de s’y abonner. Objectif : 5102 abos en 2015 ! Déjà, en trois mois, plus de 500 personnes ont fait monter le compteur de ce « Ravithon ». Car c’est bien là le point essentiel : les lecteurs sont les meilleurs garants de l’indépendance de la presse. Fabriquer des journaux, imprimés ou en ligne, a un coût. La gratuité de l’information est un leurre. L’avenir d’un titre comme le Ravi, qui ne se consomme pas mais se lit, repose avant tout sur ceux qui, en s’y abonnant, vont lui donner, dans la durée, les moyens de son ambition éditoriale.
A la Tchatche, au Ravi, nous avons aussi une autre conviction : pour préserver et développer une presse pas pareille, il faut que ses acteurs soient capables de mieux s’entendre pour mieux se faire entendre. Nous avons ainsi cofondé une association, « Médias citoyens Paca », qui se structure en un réseau national, afin de mutualiser nos idées, d’additionner nos forces. Afin aussi d’interpeller les pouvoirs publics. Cela peut parfois sembler paradoxal mais la presse indépendante a en effet aussi besoin d’être aidée par la puissance publique. Le droit d’informer et d’être informé ne peut pas être régulé par les seules lois du marché et de l’argent. Les aides à la presse ne sont pas, dans l’absolu, illégitimes. Celles qui existent sont absurdes car, pour ne prendre qu’un exemple, la presse satirique en est exclue alors que des programmes de télévision en bénéficient.
Assurer les conditions du pluralisme de la presse
Ce qu’il faut combattre ce sont les rapports de subordinations clientélistes qu’affectionnent nos élus persuadés d’être propriétaires des titres dans lesquels ils publient des annonces ou qu’ils subventionnent parfois. Avec d’autres, avec Basta !, le Ravi interpelle donc l’État pour que les conditions de possibilité du pluralisme, si cher au Conseil national de la résistance, soient refondées, pour que, entre le secteur privé et le service public, les médias associatifs, coopératifs, dont l’objectif n’est pas d’enrichir des actionnaires, soient reconnus et soutenus. Ces médias, se projettent souvent – c’est notre cas – dans des projets de journalisme participatif qui permettent de faire émerger une expertise citoyenne, de faire entendre la voix de ceux auxquels les « grands » médias consacrent rarement leur « Une »…
Le petit canard qui lève les bras n’a pas fini donc de cancaner, planche sur un nouveau modèle permettant de mieux articuler web et papier, journalistes, lecteurs et partenaires. Il lance dans ses colonnes sans attendre une nouvelle rubrique « sur la presse pas pareille méditerranéenne » – en avril nous parlerons ainsi de la Tunisie où va se dérouler la semaine prochaine un Forum mondial des médias libres auxquels nous participons. Dans notre région tentée par un repli xénophobe, où certains rêvent de verrouiller à double tour les portes et les esprits, il nous semble bon d’ouvrir en grand les fenêtres pour respirer ! le Ravi, qui vient de réunir un millier de personnes, au Dock des Suds à Marseille, pour un concert de soutien, redresse donc les bras, ne se résigne pas, et appelle à défendre une presse libre, nécessaire pour permettre un futur printemps démocratique.
Michel Gairaud, le Ravi
Photo : Concert de soutien au Ravi, le 13 mars 2015, à Marseille / © Sigrun Sauerzapfe
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