Reprise d’un article de l’excellent Romaric Godin pour La tribune
Ah que j’aime l’euro, cette magnifique construction qui fait trembler l’Europe dès qu’il y a un soupçon de problèmes à Chypre ou en Grèce… “Construit pour durer” ça, à l’évidence…
En agitant le chiffon rouge de la sortie de la Grèce de la zone euro, l’Allemagne cherche surtout à l’éviter en pesant sur le choix des électeurs helléniques.
La menace allemande de ne rien faire pour empêcher le « Grexit », la sortie de la Grèce de la zone euro, publiée ce lundi par une indiscrétion de l’hebdomadaire Der Spiegel, a déjà fait couler beaucoup d’encre. Le démenti peu convaincant du gouvernement fédéral qui a suivi laisse les Européens dans le flou quant aux réelles motivations de Berlin. Une chose est sûre : les indiscrétions du Spiegel ne sortent jamais au hasard.
Feindre de laisser choisir l’électeur grec
Pour comprendre les motivations de Berlin, il faut réfléchir en termes tactiques. Angela Merkel feint la retraite, mais en réalité, elle entre désormais de plain-pied dans la campagne électorale grecque tout en ayant l’air d’en sortir. En affirmant qu’elle est prête à laisser sortir la Grèce de l’euro en cas de victoire de la Coalition de la gauche radicale (Syriza) d’Alexis Tsipras, Berlin feint de laisser le choix au peuple grec. L’Allemagne prendra acte du résultat des élections et en tirera les conséquences. Mais c’est bien là que le bât blesse. Syriza ne veut pas sortir de la zone euro, mais renégocier les conditions imposées par le mémorandum et la troïka.
Dramatisation à outrance de l’élection grecque
Berlin refuse donc d’emblée toute discussion avec Syriza : si Alexis Tsipras l’emporte, alors la Grèce sera exclue de la zone euro, il n’y aura aucune négociation avec le nouveau pouvoir grec. Bref, l’Allemagne pose les termes du choix de l’électeur grec en ces termes : ou l’actuel premier ministre Antonis Samaras et l’euro ou Alexis Tsipras et le chaos. C’est évidemment biaiser la campagne électorale hellénique et chercher à peser considérablement sur le choix des Grecs. Comme lors du scrutin de juin 2012, l’Allemagne dramatise volontairement à outrance l’issue de l’élection pour imposer son choix.
Eviter le Grexit en l’agitant
Au final, la manœuvre allemande a pour but d’éviter à tout prix le « Grexit. » Dans son « Morning Briefing » de ce lundi 5 janvier, le directeur de la rédaction du quotidien allemand des affaires Handelsblatt, très proche de la chancellerie, affirme ainsi que la « fonction de ces menaces est précisément d’éviter leur réalisation concrète. » L’Allemagne espère que les Grecs, craignant que l’Allemagne ne les rejette de la zone euro et ne les entraîne dans le chaos, feront le choix du camp du premier ministre sortant. Antonis Samaras peut donc remercier une nouvelle fois son « amie » Angela Merkel pour le coup de pouce.
Une menace sérieuse ?
En fait, la menace allemande ne semble pas réellement sérieuse. L’argument développé par Der Spiegel sur l’absence de contagion de la Grèce vers les autres pays de la zone euro est en effet discutable. Certes, la nouvelle crise grecque à la fin décembre n’a pas eu pour effet de peser sur les taux des autres pays de la zone euro. Certes, il existe désormais des « pare-feu » disposant d’une certaine force de frappe, notamment le MES et ses 500 milliards d’euros. Certes, la BCE pourrait contraindre le pays à quitter la zone en coupant l’aide d’urgence au secteur bancaire. Mais il convient de ne pas oublier l’essentiel : l’existence d’un précédent pèsera en effet fort lourd dans l’avenir.
L’existence d’un précédent
Quelles que soient les conséquences de cette sortie pour la Grèce, preuve aura été faite que l’adhésion à l’euro n’est pas le « processus irréversible » que l’on présente aujourd’hui. C’est donc ouvrir la boîte de Pandore. Si le Grexit est catastrophique, il sera toujours possible de présenter la catastrophe comme une conséquence du cas hellénique, très particulier. Les partis défavorables à l’euro pourront, un peu partout, promettre de faire mieux et s’appuyer sur ce précédent pour affirmer qu’un retour aux monnaies nationales n’est pas un rêve irréalisable. Et si le Grexit se passe mieux que prévu, alors ce sera encore mieux pour les Eurosceptiques. Berlin sortirait très affaibli de cette aventure : ses partenaires pourront mettre dans la balance une sortie de la zone euro pour faire céder son intransigeance. En réalité, ce précédent changerait toute la donne dans la zone euro. Or, rappelons-le, l’Allemagne peut certes supporter la sortie de la Grèce de la zone euro, mais pas celle de la France et encore moins de l’Italie, car aussitôt, la monnaie allemande s’apprécierait considérablement, ce qui pèserait sur les exportations qui restent – le coup de « mou » conjoncturel du pays au troisième trimestre l’a prouvé – le vrai moteur de l’économie allemande.
La facture pour le contribuable allemand
Un Grexit serait aussi une défaite politique pour Angela Merkel qui, depuis 2010, a fait de la survie de l’euro le point d’orgue de sa politique européenne. Si la Grèce est exclue de l’union monétaire, Athènes n’aura d’autres choix que de proclamer un défaut unilatéral sur sa dette extérieure. Après tout, rien de plus logique : l’exclusion de la zone euro n’étant pas la volonté du gouvernement grec et n’étant pas prévu dans les traités, la réponse ne peut être qu’une telle mesure. Du reste, ce serait l’occasion de profiter réellement de l’excédent primaire (hors service de la dette) dont se vante tant Antonis Samaras, mais qui n’est d’aucune utilité à l’économie grecque aujourd’hui puisqu’il est englouti par les intérêts. En faisant défaut sur sa dette, le gouvernement grec récupèrerait des moyens d’agir pour son économie.
Mais alors, le contribuable allemand devrait passer à la caisse. Car la dette grecque est très largement détenue aujourd’hui par les européens : MES, Etats membres de la zone euro, banque publique allemande KfW et BCE. Un défaut grec conduirait à une facture qui, au pire, pourrait s’élever à 260 milliards d’euros. L’Allemagne serait le premier contributeur à cette facture. Ce serait alors pain béni pour les Eurosceptiques allemands qui ne manqueraient pas alors de retrouver leur unité autour de la dénonciation de la politique européenne d’Angela Merkel et de la CDU…
L’Allemagne ne peut imposer le Grexit
Enfin, l’Allemagne se donne ici plus de pouvoirs qu’elle n’en a réellement. L’euro est officiellement irréversible, il n’est juridiquement pas prévu de pouvoir sortir de la zone euro. Le traité de Lisbonne prévoit une possibilité de sortir de l’UE, mais à la demande du pays concerné seulement. Et encore, une sortie de l’UE ne signifie pas une sortie de la zone euro. De facto, le Monténégro et le Kosovo utilisent l’euro sans être membre ni de l’UE ni de la zone euro. Même en cas de faillite de la Grèce, de défaut sur sa dette, il n’y a là rien qui contraigne le pays à quitter la zone euro. Du reste, a-t-on oublié déjà que la Grèce a, par deux fois, en 2011 et 2012, fait défaut sur sa dette en restant dans la zone euro ?
Que fera la BCE ?
Bref, Syriza pourrait fort bien rejeter le mémorandum, imposer des négociations et, si elles sont refusées, restructurer sa dette, sans quitter la zone euro. L’Allemagne n’y pourrait rien faire. La seule puissance qui, en réalité, pourrait contraindre la Grèce à quitter la zone euro est la BCE. Si Mario Draghi coupe l’aide à la liquidité d’urgence du secteur bancaire grec, le pays pourrait se retrouver en pénurie d’euros et, pour fonctionner, devrait émettre sa propre monnaie. Mais la BCE osera-t-elle créer un précédent ? Certes, elle a menacé de le faire à l’Irlande en 2010 et à Chypre en 2013, mais elle savait que ses menaces suffiraient. Avec Syriza au pouvoir à Athènes, sera-ce la même musique ? Pour Mario Draghi, confronté au risque d’une déflation dans la zone euro, « exclure » la Grèce de la zone euro serait jouer avec le feu. Les banques des autres pays périphériques pourraient alors relever leurs taux et se montrer prudentes. Enfin, la menace déjà citer du précédent est très dissuasif pour une BCE qui n’existe que par l’euro et ne peut donc prendre le risque d’un affaiblissement de l’euro. D’une certaine façon, ce serait la fin du « whatever it takes » (quoi qu’il en coûte) prononcé en juillet 2012 par Mario Draghi pour sauver l’euro. Enfin, on voit mal l’Italien, actuellement en conflit larvé avec la Bundesbank sur la question de l’assouplissement quantitatif, céder à des demandes allemandes sur ce point.
La menace allemande de Grexit est donc purement politique. Il s’agit d’impressionner l’électeur grec, de lui faire peur, comme en juin 2012 pour qu’il vote « correctement. » De plus en plus, dans la zone euro, la démocratie semble ainsi « dirigée » grâce à l’usage de la crainte. Reste à savoir sir les Hellènes tomberont dans le piège grossier que leur tend Angela Merkel.
Source : La Tribune, 5/1/2015
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